Chronique de juin 2022 À l’intérieur du rêve d’un dieu (Le modèle constructiviste, partie 1)

Certaines grandes cultures multimillénaires accordent tant d’importance à la vie onirique, qu’elles brouillent parfois les pistes entre rêve et réalité.


Ce que l’homme prend pour la vie réelle n’est rien d’autre, alors, qu’un songe. Et pas n’importe quel songe : celui d’un dieu… ou de quelque autre Grand Autre ! Chez les Hindouistes, par exemple, Brahmā — dieu suprême des origines — a créé le monde dans un rêve, couché sur un serpent. Hors de ce rêve divin, ni les choses, ni les hommes, ni le cosmos, lui- même, n’ont d’existence intrinsèque. Dans la mythologie scandinave, ce n’est pas un dieu, mais bien le géant Ymir, première créature vivante (dont Yama est l’équivalent hindouiste), qui donne naissance à l’humanité dans un rêve (une fois mort, Odin se servira de son corps pour créer la Terre).

Certains verront dans cet enchevêtrement rêve/réalité une métaphore de l’incommensurable sidération qui frappe l’homme, aux prises avec un monde fondamentalement indéchiffrable. Un monde qui se montre aussi irrationnel, aussi surréaliste, qu’un rêve. Une « comédie humaine », dont Shakespeare dira, par l’intermédiaire de Macbeth, qu’elle est « un récit conté par un idiot, plein de bruit et de fureur, et qui ne signifie rien » ! Thème qui lui tenait à cœur, manifestement, puisque, quelques années plus tôt, dans sa comédie Comme il vous plaira, il faisait déjà dire à l’un de ses protagonistes que « la vie humaine est un théâtre où tout le monde, hommes et femmes, n’y sont que des acteurs qui, leur vie durant, joueront plusieurs rôles »… tout comme dans un rêve. Plus ou moins à la même époque, dans un dessin daté de 1533 (repris, ensuite, par de nombreux artistes) — Le Rêve ou Allégorie de la vie humaine —, Michel-Ange figure la vie ici-bas comme un songe… dont il faut parvenir à se détacher, à s’arracher, à la faveur du « ciel pur ». Et dans le livre II de ses Essais (1580), Montaigne désigne l’interpénétration entre vie réelle et songe par cette formule magnifique, toute constructiviste : « Nous veillons dormants et nous veillant dormons »… ou encore par celle-ci, pas mal non plus : « Notre veillée est plus endormie que le dormir ; notre sagesse moins sage que la folie. Nos songes valent mieux que nos discours ».

D’autres y trouveront l’expression de l’antique dialectique entre imaginaire et réalité… dont l’avatar actuel porte le nom de constructivisme.


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