Chronique de mars 2015 Un fichu double prisme (L’équation : Rêve = REM, partie 4)

Le mois passé, nous avons compris, enfin, pourquoi les rêves semblaient davantage associés au sommeil paradoxal : parce que cet état de vigilance fournit les outils cognitifs — la mémoire et les mots — permettant de les attraper plus aisément. Aussi, s’il est vrai que les rêves sont produits dans tous les stades de sommeil, ils sont, néanmoins, plus facilement capturables en sommeil paradoxal.


Doté de ce nouvel équipement conceptuel, voici comment nous pourrions résumer la situation :

1. Le rêve produit, et donc vécu — expression d’une modification de l’état de conscience morphéique —, est un film mental (une séquence structurée d’hallucinations mises bout-à-bout) projeté sur l’écran noir de nos deux états de vigilance morphéiques : le sommeil paradoxal et le sommeil orthodoxe.

2. Le souvenir du rêve relève, pour sa part, d’une reconstruction du film onirique par la conscience réflexive, à l’état vigile. Ce souvenir n’est, donc, jamais le reflet fidèle du rêve produit. Il n’existe que dans l’après-coup. Il est constamment remanié, puisque recréé, à chaque fois, a posteriori.

3. Le récit du rêve, enfin, est une traduction verbale du souvenir du rêve (toute traduction étant, selon l’adage, une trahison). Les mots — nous en faisons, chaque jour, le constat amer — ne parviennent jamais, en effet, à rendre totalement compte de la réalité psychique vécue. Par surcroît, dès lors que nous décidons de raconter notre rêve (pour la simple joie du partage, le renforcement d’une complicité, la promesse d’un soulagement, la recherche d’une interprétation, les nécessités d’un travail psychologique, etc.), les mots que nous choisissons désignent inévitablement, pour nous et l’allocutaire de service, des réalités sensiblement différentes. Quelque chose de nous se perd, inéluctablement, à travers l’usage du langage, véhicule éminemment labile.

Ce qui a fait dire à Jacques Lacan que l’être humain est un « sujet barré » (un S majuscule, biffé d’un trait oblique (slash)). Autrement dit, un être « castré », incomplet, à qui il manquera toujours un morceau essentiel… Un être incapable de faire correctement saisir à son prochain — à l’aide du langage dont il dispose — ce qui fait de lui, fondamentalement, un sujet : son désir.

Tout ceci mène à une triste conclusion : je ne puis connaître mes rêves — et c’est bien regrettable — qu’au travers d’un fichu double prisme !

S’interposeront toujours, entre moi (en tant que Moi conscient) et mes songes (en tant que fenêtres ouvertes sur mon Moi inconscient, cet autre qui n’est autre que mon Moi authentique), les rideaux de la reconstruction par le souvenir et les tentures de la trahison par la traduction verbale ! Le rêve originel — celui que j’ai réellement vécu — restant, toujours, inaccessible…

De même que — par transitivité — restera toujours inaccessible le reflet fidèle de mon Moi authentique. J’en serai donc réduit à me contenter, à jamais, de ces drolatiques « miroirs oniriques » — concaves ou convexes —, qui réfléchissent de bien étranges anamorphoses de moi-même !

Notez bien que ce double prisme (reconstruction et trahison) ne s’applique qu’aux seuls rêves que nous sommes préalablement parvenus à « pécher » ! Autrement dit, ceux qui ont réussi à se faufiler à travers les mailles — temporelles et censoriales — de notre « double tamis psycho-physiologique ». Lequel est lié, d’une part, à la temporalité des éveils (trois minutes après la fin d’un REM, la moitié du rêve est déjà oubliée ; cinq minutes après, c’est tout le rêve qui est oublié !), et, d’autre part, aux défenses psychologiques activées par l’inconscient du rêveur (refoulement, déni, scotomisation, forclusion, etc.).

Aussi, n’est-ce point au travers d’une lunette à double, mais bien à quadruple foyer, que les rêves parviennent, in fine, jusqu’à nous ! Les deux premières lentilles (temporalité des éveils et défenses psychologiques) se montrent tantôt opaques, tantôt translucides, tantôt transparentes. Les deux suivantes sont toujours, quant à elles, déformantes (reconstruction et trahison).

Voilà qui est de nature à alimenter, sans coup férir, la « castration de l’être humain », comme disent si bien les psychanalyses ! S’y résigner est, du reste, le crédo de leur vaste entreprise…


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