Chronique de novembre 2012 Prendre le thé avec Morphée

Depuis l’Europalia (événement culturel belge bisannuel) consacré à la Chine, en 2009, une véritable thé-mania semble s’être emparée de notre population. Fait confirmé par l’efflorescence de magasins de thé un peu partout dans le pays. Aussi, les patients des somnologues se posent-ils de plus en plus de questions quant aux propriétés de la céleste boisson : thé et sommeil font-ils nécessairement mauvais ménage ?


Alors que le café est un excitant notoire, le thé est un stimulant. Nuance.

Le thé active doucement le système nerveux central. La vigilance est augmentée, mais pas la tension nerveuse. Autre avantage : sa durée d’action est plus longue que celle du café. Et puis, l’action éveillante varie en fonction du chaud et du froid : le thé chaud stimule (et relaxe dans le même temps [grâce à la présence de théanine, un acide aminé qui ne se trouve que dans le thé]) davantage que le thé froid (par le biais, notamment, du mécanisme de vasodilatation), choix que n’offre pas le café.

Théine et caféine : deux mots pour désigner une même molécule ! Mais une molécule dont l’action diffère, néanmoins, selon son support thé ou café.

Tout d’abord, le thé contient moitié moins de théine que le café de caféine. Ensuite, la biodisponibilité est nettement moindre pour la théine. Alors que la caféine se trouve à 100 % sous forme libre (et passe, par conséquent, très vite, et complètement, dans le sang), la théine forme des complexes avec les polyphénols ; du coup, une partie n’est pas digérée et le reste pénètre très lentement dans le sang. Et ceci est encore plus vrai si le thé infuse longtemps : les polyphénols ont, alors, le temps de passer dans la « liqueur » du thé (ils y pénètrent moins vite que la théine). Ce qui est également le cas des tanins, lesquels contribuent, derechef, à neutraliser l’effet de la théine. Conclusion : plus le thé est fort (sur le plan du goût et de la couleur), plus il est léger (sur le plan de la stimulation de la vigilance) !

Aussi, en ce qui concerne les tasses vespérales (ou nocturnes), l’on recommande — en bonne logique — de laisser le thé infuser longtemps. Mais pas avant d’avoir pris soin, toutefois — après vingt secondes d’infusion —, de jeter la « première eau » : la théine étant très soluble, vingt secondes suffisent, en effet, pour dissoudre 60 % de sa quantité initiale !

Il existe une très grande variété de thés : lesquels choisir en fonction des différents moments de la journée ? Ce genre d’interrogation fait l’objet d’une discipline relativement récente : la chronodiététique.

Examinons les thés à favoriser en matinée et en soirée.

En matinée, il est préférable de favoriser les thés très stimulants, forts en théine, tels que les thés d’Inde du Nord (Assam et Darjeeling : thés noirs, oxydés et fermentés) ainsi que ceux issus de récoltes fines (Orange Pekoe, selon la terminologie anglaise : thés obtenus à partir des petites et jeunes feuilles de la cime du théier) et impériales (Flowery Orange Pekoe : thés obtenus à partir des bourgeons), la théine étant plus concentrée dans les bourgeons et les premières feuilles de l’arbuste. Par ailleurs, et contrairement à une idée reçue, les thés foncés et charpentés ne contiennent pas nécessairement plus de théine que les thés clairs et légers. Ainsi, le thé blanc Aiguille d’argent (thé légèrement fermenté, fruit d’une récolte impériale) contient beaucoup de théine, alors qu’un Ceylan de base de type Yellow Lipton Tea (thé noir résultant d’une récolte Souchong, la qualité la plus modeste, obtenue à partir des grandes et vielles feuilles du bas) en contient très peu (pour le plaisir des mots, la récolte la plus exceptionnelle est, dans la terminologie anglaise, toujours, la Special Finest Tippy Golden Flowery Orange Pekoe One [SFTGFOPO] !) Enfin, le thé de la matinée se dégustera de préférence chaud.

En soirée, par contre, il est préférable, bien entendu, de favoriser les thés très relaxants, faibles en théine : les Oolongs (thés bleus, semi-oxydés), le Sensha (thé vert japonais, non oxydé), le thé vert à la menthe marocain, le Ceylan ainsi que les thés issus de récoltes Souchong en général. Autre idée reçue : le thé vert n’est absolument pas contre-indiqué pour le sommeil. Car la vitamine C (très présente dans ce type de thé, en effet) — dont l’action éveillante est bien connue — est complètement détruite à partir de 30 °C ! Si le grand verre de jus d’orange vespéral est déconseillé, la tasse de thé vert, pour sa part, est donc non seulement admise, mais même recommandée. Enfin, le thé vespéral se dégustera cette fois de préférence froid, voire glacé.

Pour conclure, à condition de respecter quelques règles simples, le thé se marie parfaitement bien avec le sommeil. D’autant que sa préparation (ainsi que sa dégustation) — véritable cérémonial — constitue, en elle-même, un excellent rituel de coucher.

Troquez donc votre petit digestif contre une bonne tasse de thé


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