Chronique de mai 2019 Rêves prémonitoires et rêves anticipatoires Un cruel défaut de signalétique, partie 4

En ce qui concerne les petits signes avant-coureurs qui participent des rêves prémonitoires, Serge Tisseron (psychologue, psychiatre et psychanalyste) évoque, dans Les 100 mots du rêve (2014), une anecdote étonnante rapportée par une dame juive lors d’une séance de thérapie.


En 1936, en Autriche, alors que cette dernière n’est encore qu’une toute petite fille, son père fait un rêve bien étrange : s’étant rendu chez le boulanger, il apprend que celui-ci n’a plus de pain… il s’en va tenter sa chance à la concurrence, sans davantage de succès… lorsqu’un troisième boulanger s’apprête à lui servir le même refrain, notre homme se permet alors de lui demander la raison de cette pénurie aussi soudaine qu’inattendue… et l’artisan de lui répondre, très surpris : « Mais Monsieur, vous ne savez donc pas que c’est la guerre ?! » Dès le lendemain, notre homme quittait l’Autriche sans autre forme de procès, emportant avec lui femme, fille, armes et bagages. Le 12 mars 1938, soit près de deux ans après l’occurrence du fameux rêve (sic), les troupes de la Wehrmacht franchissaient la frontière austro-allemande… l’Anschluss était consommé.

Nous le constatons, la psychologie ne nie absolument pas l’existence des rêves prémonitoires. Ce qu’elle conteste, en revanche, c’est la nature occulte des prémonitions, leur caractère surnaturel. Comme source de prémonitions, elle pointe plutôt la suggestion et l’autosuggestion (dans le cadre des prophéties auto-réalisantes), le hasard (dans celui de la concomitance), les prodromes (dans celui de la corrélation non-causale) et — nous en verrons un petit exemple plus loin — les processus d’apprentissage influant sur l’épigenèse synaptique (dans celui de la corrélation causale)… rien que du très naturel.

Mais si la psychologie témoigne de cette belle ouverture d’esprit, l’onirologie, quant à elle, ne se prive pas de rappeler qu’il arrive, parfois, aux rêves anticipatoires de dire… de belles sottises ?!

En 2012, Isabelle Arnulf (toujours elle) a réalisé une étude très amusante sur l’anticipation onirique (les résultats ont été rapportés lors du congrès Le Congrès du Sommeil - édition 2013 [Marseille]). On sait de longue date que la plupart des femmes enceintes rêvent de leur accouchement et de leur futur bébé. Qu’en est-il pour les étudiants en médecine qui doivent passer le « concours » (en France), épreuve ultime donnant, enfin, accès — ou pas — à la profession tant désirée ?? Cette étude portait sur 719 étudiants, et s’intéressait principalement aux rêves anxieux (du genre : « J’arrive en retard à l’examen », « Mon métro part dans la mauvaise direction », « J’ai soudain un trou de mémoire », « Je n’ai pas assez de temps pour répondre à toutes les questions », etc.) Les résultats obtenus furent les suivants : 50 % des étudiants ont déclaré avoir fait ce genre de rêves au moins une fois au cours du trimestre qui avait précédé l’examen, et, parmi eux, plus de 50 % l’avaient fait la veille. Cela étant, ces rêves avaient-ils eu un lien quelconque avec les résultats réellement obtenus au concours ?? La réponse est oui, absolument : une corrélation, mais… strictement inversée ?! Avoir rêvé d’un échec la veille de la passation avait, en effet, octroyé 0,5 % de réussite en plus… alors que les étudiants qui avaient eu l’excellente idée de faire ce genre de rêves catastrophes un petit peu plus tôt au cours du trimestre précédant la passation s’étaient vu octroyer un surplus de réussite de 20 %...

Ces rêves anticipatoires avaient donc été tout sauf prémonitoires ?!

En revanche, leur survenue indiquait clairement que l’étudiant s’était senti concerné par l’épreuve (facteur tiers sous-jacent… d’où corrélation inversée non-causale). Et il est fort probable, en outre, que ces rêves avaient fait bénéficier l’étudiant d’un surplus d’entraînement morphéique du cerveau (avec effet marqué sur la mémoire… d’où corrélation négative causale liée aux processus d’apprentissage et à la plasticité cérébrale que ces derniers induisent).


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