Chronique de février 2016 Le passage à la sédentarité : produire et stocker Quelques réflexions sur les objets (quatrième partie)

Le passage à la sédentarité fut directement lié à la notion de contrôle. Contrôler davantage l’environnement. Adapter l’environnement à soi, plutôt que de seulement s’adapter à lui. Faire preuve de créativité (recours à la pensée « divergente »), plutôt que d’intelligence déductive (pensée « convergente »).


Il est question, ici, vous l’aurez compris, de la révolution technologique du néolithique ; apparue, selon les régions, il y a cinq à douze mille ans. Révolution agraire, caractérisée par le passage de la prédation (cueillette et chasse, impliquant le nomadisme) à la production (culture et élevage, impliquant la sédentarité). Passage entraînant, in fine, accumulations, stocks, richesses (et, par voie de conséquence, malheureusement, guerres… pour s’approprier lesdites richesses !)

Sur le plan du réel, cette révolution a apporté un avantage évident à l’espèce humaine.

Tout aussi évident est l’avantage symbolique et imaginaire ! Car produire, posséder, stocker et organiser donne le sentiment de contrôler les choses (que celles-ci soient externes [les objets réels] ou internes [les objets mentaux])… et contrôler est, au sein de l’arsenal mental de l’être humain, une des principales armes anxiolytiques.

Et ce, tout particulièrement chez la gent masculine ! Car, pour utiliser le jargon de la psychodynamique, les hommes sont souvent plus « obsessionnels » que les femmes. C’est-à-dire que si leur inconscient pouvait parler, il dirait probablement ceci : « Plus je contrôle les choses (le temps, l’espace, les objets, la connaissance, les pensées, les mots, etc.), plus je me sens exister ! » L’homme cherche, avant tout, en effet, à accroître son pouvoir : accroître son sentiment (illusoire, bien entendu) d’être en mesure de réduire les incertitudes qui l’impactent, dominer les choses (objets externes) et les pensées (objets internes). D’où son goût de l’ordre, de l’expertise, de la théorie, de la possession, de la collection, des stocks, de l’accumulation… qui peut parfois confiner à la compulsion !

À ce propos, notons ce paradoxe (apparent), des plus cocasses : l’homme dont l’obsessionnalité est devenue problématique vit, le plus souvent, dans un désordre sans nom ! Tant de temps et d’énergie sont consacrés au rangement (le plus parfait possible) d’une toute petite parcelle de territoire, qu’il ne reste plus rien, en effet, pour tout le reste ! Ceci est totalement en accord avec la règle des 80/20 (ou loi de Pareto) : avec 20 % des ressources disponibles, on obtient 80 % du résultat escompté ; si l’on vise les 100 %, il faut mettre dans la bataille les 80 % de ressources restantes… ce qui est irrationnel, contre-productif et, bien entendu, irréalisable. Sur le plan du rangement, cela se traduit par une gigantesque accumulation (ou syllogomanie), à côté du minuscule fragment d’espace où les objets sont impeccablement à leur place !

Les femmes, pour leur part, sont souvent plus « hystériques » que les hommes. Aussi, l’inconscient de nombre d’entre elles pourrait dire ceci : « Plus je vois du désir dans l’œil de l’homme qui me regarde, plus je me sens exister ! » En ce qui les concerne, le fait de posséder et d’accumuler procède, donc, davantage de la nécessité de survivre physiquement (elle et sa progéniture) — dans la dimension réelle — que du besoin d’accroître son contrôle — dans la dimension symbolique et imaginaire.

Enfin, sur un tout autre plan, depuis que l’être humain est devenu sédentaire, l’instinct de territorialité de l’animal qui sommeille toujours en lui (une part non négligeable du cerveau de l’homme, l’archicortex, est directement héritée des animaux qui l’ont précédé au cours de la phylogenèse) lui a dicté de marquer son territoire. Tous les matins, l’oiseau chante aux quatre vents ; à chaque promenade, le chien urine aux quatre coins de son parcours… à longueur de journée, l’homme entrepose des objets pour dire : « Attention : ici, c’est chez moi ! »

« Tu veilleras à ce que ma chambre et mon bureau soient toujours dans un ordre parfait, sans que personne d’autre que moi touche à ma table de travail » : voilà un des fameux avenants qu’Einstein apporta au contrat de mariage qui l’unissait, depuis plus de dix ans déjà, à Mileva Maric, sa première femme…

Tout est relatif, mon bon monsieur… sauf le besoin de contrôler !


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