Chronique de mars 2013 Le déséquilibre Aphrodite

Qu’est donc l’homme sexué, en comparaison de la femme ? Pas grand-chose ! Face à Aphrodite, Eros ne fait pas le poids. La femme est indiscutablement plus sexuée que l’homme.


Et cela tient, notamment, au fait que, contrairement à ceux de l’homme, les organes génitaux de la femme ne refoulent pas tout le sang après l’orgasme. Après avoir joui, la femme ne rencontre donc pas cette période dite « réfractaire », qui empêche l’homme de retrouver son érection. La femme peut, par conséquent, poursuivre le coït, sans embûche, et jouir, éventuellement, encore plusieurs fois (20% des femmes se disent multi-orgasmiques). D’ailleurs, plus elle aura d’orgasmes, plus ceux-ci seront fréquents, et plus ils gagneront en intensité !

Bruckner et Finkielkraut écrivaient, à ce titre, dans Le nouveau désordre amoureux (1977) : « C’est du côté de la femme que la puissance sexuelle est fondée. Car le vrai phallus n’est pas le frêle pénis qui ne se dresse fièrement que s’il est mis en confiance, qu’il faut bichonner avec sollicitude ; le vrai phallus infatigable et toujours vaillant, c’est le sexe de la femme. ».

De ce déséquilibre - purement biologique - découle le fait qu’un homme seul est tout simplement incapable de satisfaire une femme à satiété ! Cette insuffisance, cette infériorité, est chose inacceptable pour l’homme. Se voyant condamné à toujours vivre sa sexualité sur le mode de l’échec, son narcissisme est, en permanence, malmené.

En outre, le désir insatiable des femmes pousse les hommes à la rivalité, à se dresser les uns contre les autres. Il constitue ainsi une menace pour le lien social. Il est source de désordre, et peut, même, provoquer des guerres (la Guerre de Troie en est la métaphore).

Ce déséquilibre fâcheux, inauguré par la nature, l’homme va s’acharner, certainement à partir de l’âge du bronze (vers -1800 av. J.-C.), à le réduire - et même à l’inverser -, par le truchement de la culture…

Ainsi, sera secrétée, à des fins d’homéostasie sociale, l’idéologie qui impose son rôle pathétique à la femme : celui d’être hors.

Afin d’anéantir le déséquilibre Aphrodite, l’homme va immobiliser la femme, la cacher, la séparer de lui autant que possible… Il va donc la dominer en la plaçant hors le social. Le patriarcat était né ! Ce dernier trouve, ainsi, l’une de ses principales sources dans la peur sexuelle que les femmes inspirent aux hommes.

On trouve d’ailleurs trace de cette peur dans presque toutes les cultures. Voici, à titre d’exemple, un passage du Mahabharata (poème épique hindouiste, contenant la célèbre Bhagavad Gita) : « Les femmes sont féroces. Elles sont dotées de pouvoirs féroces. Elles ne sont jamais satisfaites par un seul être du sexe opposé. Les hommes ne devraient point les aimer ; celui qui se comporte autrement est assuré de courir à sa perte. ». Ou encore, selon un texte musulman : « En écoutant les muscles qui palpitent entre ses jambes, la femme corrode la hiérarchie sociale, ouvre son vagin au gros phallus des hommes de basse condition, des pauvres, et opère ainsi un renversement des valeurs. ». Ou enfin, dans un passage de Petit trou, petit rien, une chanson de salle de garde, très en vogue dans les hôpitaux français du début du XXe siècle :

« Ah ! Tu peux lécher ta babine rosée,
Vilain monstre d’orgueil !
Tu peux, ouvrant ta gueule à crinière frisée,
Bâiller comme un cercueil.
Ventouse venimeuse, insatiable gouffre,
Si funeste et si cher ;
Je veux te mépriser, toi par qui pleure et souffre
Le meilleur de ma chair.
Je veux te détester toujours, chose infâme,
Toi qui rends mal pour bien ;
Petit néant creusé dans le bas de la femme,
Petit trou, petit rien ! »

La stratégie est simple : dominer - socialement, pour ne pas être dominé - sexuellement.

Plus il aura peur de la femme, plus l’homme cherchera à la soumettre.

Il ira même jusqu’à la rabaisser au rang d’objet ; de bien d’échange. C’est le mariage que les hommes inventent là, véritable fondement du patriarcat !

Le psychosociologue Eugène Enriquez avance que, autrefois, la femme était contre le lien social. « Un péril majeur pour l’organisation sociale », dit-il, car les hommes se battaient pour elle (De la horde à l’État, 1983). Le mariage, tout au contraire, va faire de la femme un véritable garant du lien social ! À ce propos, Claude Lévi-Strauss dit que « La relation globale d’échange qui constitue le mariage, ne s’établit pas entre un homme et une femme : elle s’établit entre deux groupes d’hommes ». Ce qui, d’ailleurs, justifie la loi d’exogamie, le tabou de l’inceste.

Bénéfice collatéral du déséquilibre Aphrodite : ce sont les femmes qui ont, finalement, instauré la paix dans les sociétés patriarcales…


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