Chronique d’avril 2025 Rêver n’est pas REMer (Deux jubilés à six ans d’intervalle, partie 4)

À y regarder de plus près, il y avait, toutefois, une seconde différence, plus subtile, entre REM et sommeil paradoxal.


Cette différence tenait à l’importance accordée aux découvertes respectives. Alors que l’équipe américaine pensait simplement avoir trouvé une nouveau stade de sommeil (c.-à-d. un nouveau niveau de profondeur de sommeil), le « stade 1 » (rebaptisé « stade 5 » dans les règles de stadification, toujours en vigueur, publiées à UCLA, en 1967 [l’appellation « stade 1 » ayant été récupérée par la phase d’endormissement]), Jouvet, quant à lui, comprit immédiatement qu’il tenait quelque chose de plus grand. Il savait qu’il venait de découvrir rien moins qu’un troisième état de vigilance, aux côtés du sommeil (qualifié d’« orthodoxe », par contraste avec « paradoxal ») et de l’éveil… une découverte destinée à « occuper des centaines de chercheurs pendant des dizaines d’années » !

In fine, cette drolatique bataille d’egos valut aux somnologues du monde entier de fêter, par deux fois, à six ans d’intervalle, le jubilé d’une même découverte !

Pour en revenir au développement de l’onirologie, cette dernière est restée dans le giron de la somnologie durant de nombreuses décennies, nous l’avons déjà dit. L’équivalence sommeil REM / sommeil à rêves était à ce point établie, que les découvertes réalisées sur le REM étaient automatiquement transposées aux rêves. Dans les articles scientifiques, les deux termes finissaient même parfois par être interchangeables ! Les pointes PGO (Ponto-Géniculo-Occipitales) en fournissent un excellent exemple. Dans les années 1960, il fut démontré (chez le chat, tout d’abord) que ces ondes — initiées dans le tronc cérébral (au niveau du pont), transitant par les corps genouillés des noyaux thalamiques (dans les profondeurs du cerveau) et atteignant, enfin, le cortex occipital (la partie postérieure de l’écorce du cerveau) — traduisaient l’activité cérébrale sous-cortico/corticale spécifique au REM. En moins de temps qu’il ne faut pour le dire, on en déduisit, bien évidemment, que cela s’appliquait, également, au rêve. Preuve en était, du reste, que cette activité permettait d’expliquer l’apparition des images des rêves. En effet, les corps genouillés constituent un important centre de relais des voies visuelles, et le cortex occipital contient le siège principale de la vision : le cortex visuel primaire. CQFD, donc. Sauf que nous savons, aujourd’hui, que le REM n’a pas l’exclusivité des rêves visuels, loin s’en faut. De tels rêves se produisent, en réalité, dans tous les autres stades de sommeil… lesquels sont dépourvus de toute activité PGO, inutile de le préciser !

Ce n’est qu’à partir du milieu des années 1990, avec une nette accélération au cours des années 2010, que l’onirologie s’est progressivement différenciée de la somnologie. Pour finir par devenir une discipline autonome, à part entière. Tout comme la psychologie l’avait fait, en son temps, en se détachant de la philosophie. À l’ULB, l’université où j’ai fait mes études, le schisme s’était produit en 1949.

Ce qui devenait de plus en plus clair, c’est que rêver ne voulait pas forcément dire REMer.

Plutôt que de se focaliser sur un état de vigilance spécifique — le REM —, l’onirologie se recentrait peu à peu sur un état de conscience spécifique : le rêve… renouant, ainsi, avec des dizaines de milliers d’années de pratique oniromythologique !


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