Chronique de mai 2016 Mode analogique et mode cognitif Rêves hypnopompiques (deuxième partie)

Le mois passé, nous avons vu que, pour Tassin, une information mnésique préexiste, dans une sorte de répertoire, constituant l’ensemble du matériau onirique disponible. Ensuite, pour pouvoir être « révélé » par le réveil, le futur rêve doit avoir été préalablement choisi, puis activé, durant le REM. De sorte que, lorsque l’éveil finit par se produire, il ne fait plus que libérer une information déjà vitalisée. En moins d’une seconde, l’éveil se charge, alors, de mettre le rêve au monde : accouchement par césarienne ! Dans la terminologie de Tassin, le cerveau passe, en un instant, d’un mode analogique à un mode cognitif.


Le mode analogique (décrit par le mathématicien John Hopfield, en 1982, dans son modèle de Réseaux de neurones) — l’état mental spécifique engendré par le sommeil (dans le paradigme cognitiviste) — consiste en un traitement extrêmement rapide de l’information (de l’ordre de quelques dixièmes de seconde). C’est un processus inconscient, régi par une organisation spatiale (et donc simultanée) des représentations mentales, lesquelles circulent très librement, s’associant au gré des « proximités » (analogies, champs sémantiques apparentés, assonances, consonances, etc.) Ce mode est médié par des neurones transmetteurs (dont les neurotransmetteurs principaux sont le GABA et l’acétylcholine). Il correspond, approximativement, aux « processus primaires », décrits par Freud.
À un moment donné ou à un autre, le mode analogique est inévitablement interrompu par un micro-éveil (un éveil de quelques secondes) ou par un éveil électrophysiologique (juste avant un éveil comportemental), lesquels activent, immédiatement, le mode cognitif.

Le mode cognitif consiste, pour sa part, en un traitement de l’information beaucoup plus lent. C’est un processus conscient, régi par une organisation temporelle des représentations mentales, lesquelles se succèdent dans un ordre précis, de manière séquentielle, hiérarchisée, ce qui autorise une structure narrative, puis, éventuellement, un discours. Le cerveau étant capable de fabriquer une quinzaine d’images à la seconde (!), un récit onirique complexe, semblant se dérouler sur une période assez longue, peut donc avoir été généré, en une fraction de seconde, à l’occasion de la survenue d’un micro-éveil ou d’un éveil électrophysiologique. Le mode cognitif est médié par des neurones modulateurs (dont les neuromodulateurs principaux sont la noradrénaline et la sérotonine). Ce mode correspond, approximativement, aux « processus secondaires », décrits par Freud. C’est l’état mental spécifique de l’éveil.
« Ce passage brutal d’un régime de spatialisation des représentations à un régime d’organisation temporelle se traduit par la sélection rapide, en moins d’une seconde, de quelques représentations privilégiées par leur caractère récent et/ou par l’intensité de la charge émotionnelle qui y est associée, que celle-ci soit liée au passé du rêveur ou à ses projets. » (Les 100 mots du rêve, Jean-Pol Tassin et Serge Tisseron, 2014).

Au bout du compte, un rêve serait donc généré en trois temps.

Le premier temps serait celui de l’engrammage du matériel onirique, dans un « répertoire », soit la conception du rêve (au cours d’un état de vigilance [éveil, sommeil orthodoxe, sommeil paradoxal] non explicité par Tassin… précisons-le).

Le deuxième temps serait celui de l’activation de la trace mnésique-cible.
Soit le développement — « in utero » — du rêve (à la faveur d’un traitement opéré par le REM).

Le troisième temps, enfin, serait celui de l’expulsion.
Soit la naissance du rêve proprement dit (aidée, en cela, par l’obstétricien de service : l’éveil [et ses neuromodulateurs spécifiques : les monoamines, indispensables à la fabrication du scénario onirique… et à la prise en compte de l’existence de celui-ci]).

Pour Freud, le rêve avait pour fonction de permettre à l’individu de ne pas se réveiller. Pour Tassin, il permet à l’individu de se rendormir très rapidement (d’ailleurs, lorsque le rêve est très performant, le sujet se rendort avant même d’avoir pu se rendre compte qu’il rêvait !)

Le résultat est sensiblement le même.


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