Chronique de janvier 2012 Une mauvaise réputation

La manipulation souffre d’une mauvaise réputation… le plus souvent injustifiée. Elle est habituellement victime d’amalgames, d’une confusion entre les niveaux et les concepts. Réhabilitation, donc, d’un comportement injustement diabolisé.


Avant tout, un constat simple : la manipulation est inévitable. Partons de l’axiome suivant : il n’existe pas de non-comportement, une absence de comportement étant encore un comportement. Et, puisqu’on ne peut pas empêcher autrui d’interpréter chacun de nos comportements, on ne peut donc pas ne pas communiquer ; tout comportement a valeur de communication. Et, si la communication est inévitable, alors on ne peut échapper aux processus d’influence - donc, de pouvoir - puisque la communication a pour vocation d’impacter le comportement d’autrui. Et, si les jeux de pouvoir apparaissent à l’instant même où deux individus sont mis en présence, alors il en est de même de la manipulation. En effet, selon, par exemple, la définition du Petit Robert, la manipulation consiste à amener l’autre à penser et à agir comme on le souhaite, alors que cet autre n’aurait pas pensé et agi de la sorte spontanément. N’est-ce point là ce que l’on ne cesse de faire à longueur de journée, dans pratiquement toutes nos relations ?

Autre point capital : la manipulation en tant que telle échappe à toute considération morale. Un couteau n’est ni bon ni mauvais. C’est un outil. Un point c’est tout. Il peut tout aussi bien servir à couper la viande qu’à assassiner le voisin. Pour la manipulation, il en est exactement de même. Ce ne sont jamais les moyens qui font l’objet d’une appréciation morale, mais bien les fins poursuivies. Même le Zyklon B, outil de l’horreur s’il en est, répond à cette définition. Ce gaz, qui a servi à tuer des millions de juifs dans les camps d’extermination nazis, était initialement un pesticide anti-poux. Il fut mis au point par un prix Nobel - juif (sic) - et a permis, lors de la première guerre mondiale, de lutter contre la peste et le typhus, sauvant ainsi des millions de vie allemandes !

Manipuler à des fins pédagogiques, artistiques, médicales, psychothérapeutiques, juridiques…, est souhaitable - et souhaité. Lorsque nous nous rendons chez le médecin, ou déposons nos enfants à l’école, c’est avec cette demande non-équivoque : « s’il vous plaît, manipulez-moi, manipulez-les ! ». Plusieurs écoles de psychothérapie placent d’ailleurs, explicitement, la manipulation au cœur de leurs interventions. On peut citer, en vrac, l’hypnose ericksonienne, la thérapie stratégique, les différentes formes de thérapies brèves tactiques, la thérapie provocatrice, les thérapies cognitivo-comportementales, etc. En ce qui concerne les autres formes de psychothérapie, la manipulation n’est pas moins au cœur de la pratique. Mais cela reste, toutefois, implicite…

Manipuler à des fins commerciales, politiques…, est déjà moins souhaitable. Et l’éthique du projet même de séduire (« conduire à soi »), s’évalue, quant à elle, une fois encore, au regard de sa finalité. Casanova était un seigneur. Don Juan, un monstre.

Manipuler à des fins malhonnêtes - c’est à dire lorsque le bénéfice du manipulateur s’obtient au détriment du manipulé - est, cela va sans dire, condamnable. C’est là la marque de la perversion. Et seulement là !

A ce propos, il est intéressant de noter que la psychopathologie est grandement affaire de mode. La grande hystérie de conversion, pour prendre un exemple - le fond de commerce de Freud et de ses congénères – a quasiment disparu de nos jours. Aujourd’hui, en revanche, ce sont les pervers narcissiques qui ont la cote. Les femmes - et les psys - en voient partout ! Voilà peut-être une des raisons pour lesquelles la manipulation a actuellement si mauvaise presse.

Et puis, sur un plan psychosociologique large, notre époque est celle de la sincérité. C’est l’idéologie dominante du moment. La valeur suprême. La notion de pieux mensonge n’existe plus. Seule a droit de citer la transparence, le tout-dire, et l’inévitable violence - parfois fracassante - qui l’accompagne inévitablement. La sincérité prime dans ce cas l’honnêteté ! Or la valeur princeps ne peut être que l’honnêteté. Et si la manipulation est aujourd’hui tant conspuée, c’est qu’elle se situe manifestement davantage du côté de l’honnêteté que de la sincérité…


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