Roland Pec
En guise de préambule, voici un avenant apporté à un contrat de mariage, envoyé par un époux à sa tendre et chère, dix ans exactement après le début de leur union :
1. Tu veilleras à ce que :
2. Tu renonceras à toute relation personnelle avec moi, sauf celles indispensables pour le maintien d’apparences sociales. En particulier, tu ne me demanderas pas :
3. Tu dois t’engager explicitement à respecter les points suivants :
Avez-vous reconnu ce merveilleux mari ? Figurez-vous que ce n’est autre qu’Albert Einstein ! La femme en question est sa première épouse, Mileva Maric, avec qui il vivra encore pendant sept ans (sic !) - et dont on ne saura probablement jamais à quel point elle a contribué à la théorie de la relativité. Un patient à qui je faisais récemment lecture de ce contrat s’est écrié : « Maintenant, je comprends pourquoi Einstein est un génie ! ».
Voilà qui illustre parfaitement le propos de cet article : sur le plan psychologique, un homme et une femme sont deux êtres qui ne fonctionnent pas du tout de la même manière. Il existe de réelles différences. Et, contrairement aux apparences, cette thèse ne va pas de soi. Loin s’en faut. De nombreux scientifiques ont du reste affirmé le contraire. On peut citer par exemple, la célèbre ethnologue Margaret Mead, dont l’idée centrale était que les hommes et les femmes jouent à être différents, alors qu’ils ne le sont pas intrinsèquement. Ils joueraient des rôles, de manière extrêmement variable selon les cultures du reste, ce afin de s’octroyer plus d’identité, plus d’existence. Plus proche de nous, dans la lignée de Simone de Beauvoir (« on ne naît pas femme, on le devient »), on se doit de citer Elisabeth Badinter qui, livre après livre, ne cesse de clamer que la différence inter-sexe est une pure invention du patriarcat (dont le seul objet est la domination des femmes par les hommes). Et que, pour reprendre sa célèbre formule, « l’un est l’autre ».
Les données scientifiques actuellement disponibles permettent de toute évidence d’infirmer la thèse de l’identité des sexes. Et, de surcroît, je pense que c’est en connaissant et en reconnaissant leurs différences, que les deux sexes peuvent apprendre à mieux se comprendre et, partant, à mieux s’entendre. Ce qui, en tant que thérapeute de couple, ne me paraît pas tout à fait dénué d’intérêt…
Nous allons donc passer en revue une série de différences entre les sexes. Elles ont été mises à jour par diverses sciences, et ce parfois très récemment. Ce texte est une synthèse d’un séminaire de 45 heures que j’ai eu l’occasion de donner dans la cadre de l’asbl Thema Culture en 2004-2005. L’idée des différences conduit assez naturellement à celle de la nécessité d’un mode d’emploi, à l’usage des deux parties. Mais le titre de cet article est bien entendu humoristique, volontairement présomptueux, et ce pour souligner, par contraste (un peu à la manière de « La vie mode d’emploi » de Georges Perec) à quel point le sujet est vaste, inépuisable, et par nature mystérieux. Autrement dit, ni vous ni moi ne serons malheureusement jamais l’équivalent d’un Tirésias, ce devin de la mythologie grecque qui passa sept années de sa vie dans la peau d’une femme. Et je ne peux que le déplorer.
A tout seigneur tout honneur : commençons ce tour d’horizon par le commencement, c’est à dire par la génétique. Chacun sait qu’un homme possède au sein du noyau de chacune de ses cellules un chromosome sexuel Y à côté du chromosome sexuel X, alors qu’une femme possède uniquement deux chromosomes X. C’est donc le chromosome Y qui porte les gènes qui déterminent le mâle. On pourrait penser naïvement que les chromosomes sexuels sont apparus en même temps que la sexualité elle-même. Et bien, pour le chromosome Y, il n’en n’est rien ! La sexualité est apparue sur terre il y a plus ou moins un milliard d’années, alors que Y, lui, n’est apparu qu’il y a 300 millions d’années. Autrement dit, pendant 700 millions d’années, les femelles se sont fort bien passées des mâles, procréant par parthénogenèse (c’est à dire grâce à une division cellulaire purement sexuelle - dite méiose, mais sans fécondation). En somme, en ce qui concerne la procréation sexuelle, Y (donc le mâle), n’est absolument pas indispensable ! Et notons au passage que, contrairement à l’expression consacrée, la femme est bien le premier sexe (et non pas le deuxième) ! Par ailleurs, le chromosome Y s’est différencié à partir de X, et ce chez les tous premiers mammifères. Aussi, et contrairement à ce que nous enseigne la bible, la génétique nous apprend que c’est bien l’homme qui est issu de la côte d’Eve (et non l’inverse) ! En outre, Y est un chromosome minuscule, ne portant que 76 gènes (contre 4000 sur X). De plus, il se détériore à chaque division cellulaire, car il ne sait pas se recombiner. Aussi, selon l’avis de nombreux généticiens actuels, à ce rythme-là, Y pourrait bien avoir disparu dans 10 millions d’années (l’histoire de l’homme remontant plus ou moins à 15 millions d’années). L’humanité pourrait donc bien se retrouver un jour sans mâles : une humanité composée uniquement de femmes, procréant par parthénogenèse, ainsi que le font les reptiles ou les pucerons ! Dans cet incroyable cas de figure, « La femme est l’avenir de l’homme » ne serait plus seulement une formule de poète ou de chanteur ! Une dernière méprise : si ce n’est sur le plan de la structure osseuse, de la masse musculaire ou de la capacité cardio-pulmonaire, la femme est indiscutablement le sexe fort ! A tous les moments de la vie, du zygote originel jusqu’au grand âge, les femmes sont nettement plus résistantes que les hommes. A la conception, il y a 120 garçons pour 100 filles (les spermatozoïdes mâles sont plus rapides, car plus légers, à cause du faible poids du chromosome Y) ; à la naissance, ils ne sont déjà plus que 105 pour 100 filles (ils font davantage les frais des fausses couches) ; entre 30 et 40 ans : ça s’équilibre ; et, finalement, la femme pourra espérer vivre 7 ans de plus que l’homme…
Restons encore un instant dans le domaine de la biologie, et allons nous balader du côté de l’anatomie et de la physiologie. Le cerveau de la femme diffère-t-il de celui de l’homme ? La réponse est indiscutablement oui : on peut dire que le cerveau a un sexe ! Ceci résulte surtout de l’imprégnation du cerveau mâle en testostérone durant la période embryonnaire. Chez la femme, par exemple, les ponts (commissures) reliant l’hémisphère droit (affectif) et l’hémisphère gauche (rationnel) sont nettement plus larges. La circulation est donc plus fluide entre la rive droite et la rive gauche ! Ce fait contribue à expliquer toute une série de différences comportementales : pourquoi les femmes sont moins « asymétriques » dans l’utilisation de leur cerveau, pourquoi elles cloisonnent moins l’affectif et le rationnel, pourquoi elles parviennent à se charger de plusieurs tâches à la fois (alors que l’homme est notoirement mono-tâche – selon l’adage : il ne parvient pas « à mâcher son chewing gum et à marcher en même temps » !), pourquoi elles ont une meilleure intuition (déduction sur base d’observation), pourquoi elles sont plus empathiques, etc. Par ailleurs, hommes et femmes n’utilisent pas les mêmes parties de leur cerveau pour des opérations mentales similaires : écouter une personne, lire une carte routière, s’orienter dans l’espace, faire des maths, etc. Ces différences biologiques sont-elles innées ou acquises ? Il est impossible de répondre à cette question, car si le nombre de cellules nerveuses est fixé dès la conception, les connexions nerveuses (donc la grande toile d’araignée que forme le cerveau), se développent quant à elles au cours des vingt premières années de la vie, dans et par l’expérience (c’est ce qu’on appelle la plasticité cérébrale, ou encore l’épigenèse).
Pour en finir avec la biologie, voyons à présent ce qui ressort des études éthologiques. Elles montrent surtout que ce qui nous attire chez l’autre est largement sous-tendu par l’instinct de conservation de l’espèce. Autrement dit, l’autre me séduit car il exhibe - à mon insu - des signes de bonne fertilité ! Prenons une expérience récente menée en 2004 : des femmes sont invitées à composer sur l’écran d’un PC le visage de l’homme idéal. Et bien, ce visage change en fonction du moment du cycle menstruel ! Hors de la période d’ovulation, ces femmes composent un visage fin et délicat (« métrosexuel » dirait-on aujourd’hui) ; par contre, en période de pré-ovulation (6 jours durant), elles composent un visage viril, aux arcades sourcilières et au menton saillants : comme si leur instinct de génitrices leur dictait dès lors d’être attirées par le meilleur candidat procréateur. On note par ailleurs que les femmes sont attirées par les hommes en forme de T (langage non verbal = « je suis fort » = « je pourrai assurer la survie de ma progéniture »). Et les hommes, quant à eux, sont attirés par les femmes en forme de sablier (rapport taille/hanche idéal : 0,7) (= Marilyne Monroe = « je suis jeune et fertile »). En outre, les femmes sont attirées par le portefeuille de ces messieurs (c’est en tout cas ce qui ressort d’une large étude réalisée dans 33 pays par le professeur américain Buss) : des hommes plus âgés et d’un statut socioprofessionnel plus élevé = capables d’assurer une existence confortable à leur descendance. Toujours dans le même ordre d’idées, l’éloignement génétique entre deux individus est également un attracteur : on a pu montrer que des femmes sont d’autant plus attirées par l’odeur de T-shirts portés par des hommes, que ceux-ci sont très différents sur le plan génétique - notamment au niveau des facteurs immunitaires (= brassage des caractères = assurer la pérennité de l’espèce, lors d’éventuels changements du milieu). En passant, notons que les célèbres phéromones sont des substances qui n’agissent pas sur l’être humain : l’organe de réception - organe voméro-nasal, est chez lui vestigial, il ne fonctionne donc pas. Relevons enfin, pour clore ce chapitre, que l’ocytocine, une hormone qui est bien connue dans le cadre de l’accouchement et de la lactation, s’avère avoir un rôle non négligeable dans les relations de couple. A savoir, l’envie de vivre ensemble, la confiance qu’on accorde à l’autre et la fidélité dont on fait preuve. Le campagnol des plaines (rat des champs), champion de l’ocytocine, forme des couples inséparables, tandis que son cousin des montagnes, peu réceptif à cette hormone, est polygame et mauvais père ! A quand les injections d’ocytocine pour maris volages ?
Abordons à présent un petit point de sociologie. Avant tout, ce point troublant : le monde se masculinise progressivement (bien que les femmes restent toujours plus nombreuses). En Inde et en Chine (des pays qui totalisent à eux seuls 1/3 de la population mondiale), il naît 125 garçons pour 100 filles (ce qui est largement dû à l’avortement des filles après échographie). Et, de plus, les filles sont négligées après la naissance (on déplore chez elles un taux de mortalité plus élevé de 40%). Force est de constater que dans une bonne partie du monde, avoir un fils est bien plus intéressant qu’avoir une fille. Pour des raisons économiques - « une fille va arroser le jardin du voisin », spirituelles - les rituels funéraires entre autres, etc.. Un autre point intéressant est que 60% des femmes vivant sur la surface du globe ne choisissent pas leurs époux. D’une manière générale, une femme ça s’achète - par le truchement de la dot - le mariage s’assimilant dès lors à un échange de biens ! La dot est d’ailleurs le plus souvent payée par la famille du garçon (chez les Malinkés du Mali une femme vaut neuf génisses, chez les juifs ancestraux une femme valait une perouta - la plus petite pièce des temps talmudiques). Plus rarement, la dot est payée par la famille de la fille, comme si cette dernière n’avait pas suffisamment de valeur à elle seule pour motiver la transaction… Notons enfin qu’en Belgique, à poste égal, une femme gagne en moyenne 83% du salaire d’un homme !
De la sociologie à l’histoire, il n’y a qu’un pas. On peut se demander, par exemple, si, fort de sa supériorité physique, l’homme a dominé la femme de tous temps. Autrement dit, le patriarcat est-il le modèle ancestral, naturel et universel ? La réponse est résolument non ! Tout d’abord, de nombreux arguments préhistoriques plaident en faveur d’une complémentarité des rôles hommes/femmes, et d’une égalité des statuts pendant toute la période paléolithique (c’est à dire pendant à peu près 30 mille ans). Ensuite, et ce pendant une période approximative de 3000 ans, la femme s’est mise à dominer l’homme ! Ce fut véritablement l’ère du matriarcat ! Inventant coup sur coup les outils, l’horticulture puis l’agriculture, la femme s’est en effet retrouvée au centre de la révolution néolithique. En outre, dans ces temps anciens, l’homme pensait n’intervenir que très peu dans la procréation, il ne comprenait pas sa réelle implication dans ce processus. Ainsi donc, à la femme était réservée tant la fertilité végétale que la fécondité humaine. Parallèlement à cela, se muant en pâtre paisible, l’homme avait progressivement perdu tout son prestige de chasseur héroïque s’en allant trucider la bête sauvage. En écho à cette suprématie du prestige féminin, à ce matriarcat, on ne garde d’ailleurs de cette époque que des représentations féminines de dieu, les fameuses Vénus, ces déesses-Mère et déesses-Terre. Puis, il y a à peu près 4000 ans (à l’âge du bronze), sont apparus subitement les dieux masculins, les Pères de l’humanité (Brahmâ, Zeus, Jupiter, Yahvé…), traduisant ainsi l’avènement du patriarcat. La révolution technologique du néolithique avait permis l’accumulation de nouvelles richesses. Ces dernières ont suscité des guerres, lesquelles ont permis aux hommes de redorer leur blason, de retrouver leur prestige de héro. Voilà en tout cas une des thèses avancées par les protohistoriens pour expliquer ce basculement vers le patriarcat. Et il faudra attendre la révolution française, puis surtout l’invention de la pilule contraceptive en 1960, pour remettre ce patriarcat en question. Lorsqu’on appréhende de la sorte le temps long, on peut réellement affirmer que le patriarcat n’est qu’un soubresaut de l’histoire !
Questionnons maintenant la sexologie. Parmi les très nombreuses différences existant sur le plan de la sexualité entre les hommes et les femmes, une des plus intéressantes me semble être liée à la nature contrastée des leurs conflits infantiles. Partons d’un constat simple : le père est pareillement manquant pour la fille et pour le fils ! Quelques chiffres récents (nouveaux pères ou pas) : 75% des pères ne prennent aucune responsabilité dans les soins prodigués aux jeunes enfants ; une femme salariée consacre 42 minutes quotidiennes aux soins des enfants, contre 6 minutes pour le père ; les pères passent 4 fois moins de temps que les mères en tête-à-tête avec l’enfant ; la moitié des pères séparés voient leurs enfants moins d’une fois par mois (et 27% des pères séparés ne les voient plus jamais) ! Par conséquent, une petite fille, principalement élevée par sa mère, se développe avec un excès identificatoire et un déficit oedipien (elle n’est pas suffisamment désirée). A l’inverse, un petit garçon, élevé principalement par sa mère, se développe avec un déficit identificatoire et un excès oedipien (il est trop désiré). A l’âge adulte, dans les relations amoureuses, et y compris sexuelles, gare aux projections et aux transferts ! Ainsi, l’homme va très souvent vivre la femme comme une mère oedipienne encombrante. Or, on ne couche pas avec sa mère. Il va donc tout faire pour dissocier « la maman et la putain » (pour reprendre un titre de film bien connu). Il adressera par exemple des mots crus à sa partenaire pendant l’acte, ou perdra subitement tout désir pour sa femme récemment devenue mère. Beaucoup d’hommes sont incapables de désirer la femme qu’ils aiment (qu’ils respectent, comme maman), et incapables d’aimer la femme qu’ils désirent (qu’ils méprisent, comme une putain). Certains hommes souffrent même du « syndrome milanais », la tranche milanaise de l’amour : une femme que j’admire (avec ma tête), une femme que j’aime (avec mon cœur), une femme que j’ai dans les tripes et une femme qui attire mon slip ! Par ailleurs, puisqu’il souffre d’un déficit identitaire, l’homme va souvent chercher à utiliser la relation sexuelle pour étoffer son identité. Ce qui se traduit par la course à la performance, cause de nombreux troubles d’érection et d’éjaculation. La femme, pour sa part, au travers de sa relation aux hommes, va souvent chercher à se protéger d’un père manquant. Ainsi, et pour reprendre les paroles de la princesse de Clèves (lesquelles résonnent depuis 1672), la femme est tentée de « refuser de s’abandonner de peur d’être abandonnée ». Aussi, de nombreux problèmes sexuels féminins peuvent résulter du souci de ne pas tout donner à son partenaire, de peur de tout perdre. Et, particulièrement lorsqu’il y a beaucoup d’amour, il s’agit de ne pas tout mettre dans le même panier ; de ne surtout pas se retrouver sous l’emprise de cet homme qui va probablement préférer, un jour, une autre (dans le champ de la pathologie, c’est précisément ce souci qui sous-tend les conduites hystériques). Fort heureusement, avec l’âge, et la distance prise vis à vis des conflits infantiles, un certain nombre de femmes découvrent qu’elles peuvent jouir avec un homme qu’elles n’aiment pas, et un certain nombre d’hommes découvrent qu’ils peuvent s’autoriser à jouir avec une femme qu’ils aiment !
Abordons maintenant un domaine qui, généralement, passionne les couples : celui de la communication. Un premier point intéressant, issu de la théorie de la communication : lorsqu’on communique, on transmet toujours deux choses en même temps : un contenu et une définition de la relation. Par exemple, dans cet article, je vous parle de la différence hommes/femmes et, en même temps, je vous donne ma définition de notre relation. Si je commençais ma phrase par : « Dites donc les gars, j’ai un truc marrant à vous raconter… » je vous donnerais une autre définition de notre relation (avec laquelle je doute fort que vous seriez d’accord). Et bien, de très nombreux problèmes de communication entre sexes proviennent du fait que la femme parle surtout de relation, alors que l’homme parle surtout de contenu. Un exemple : monsieur annonce à madame que Jean vient dîner ce soir à la maison. Madame s’offusque et dit qu’il n’en n’est pas question. En réalité, madame adore Jean, et serait ravie de l’avoir à dîner. Mais puisqu’elle n’a pas été consultée, elle a l’impression de compter pour du beurre. Elle n’est pas d’accord avec cette définition de la relation qui la lie à son mari, et c’est à ça qu’elle dit non, pas au contenu. Mais monsieur est parfaitement imperméable à cette dimension de la communication. Il va rester bloqué au niveau du contenu : « Mais voyons, chérie, je ne comprends pas : tu as toujours apprécié la compagnie de Jean, pourquoi cette subite lubie de ne plus vouloir le recevoir ? ». Et face à tant d’incompréhension, lasse, madame souvent de baisser les bras…
Autre point : les couples croient fréquemment qu’ils ne communiquent pas assez, qu’ils communiquent mal, et que c’est là qu’il faut trouver la source de leurs problèmes. En réalité, les couples qui ne vont pas bien sont souvent des couples qui communiquent trop et trop bien ! Pendant longtemps, on n’a pas assez dit les choses, que ce soit au sein des couples ou des familles. Tout le monde a entendu parler des dommages psychologiques causés par les non-dits, les secrets de familles, etc. « Ce qui n’est pas dit est transmis dans le para-dit » a écrit Boris Cyrulnik.
Cette prise de conscience date des années 70 et 80. Elle fut amenée par la pédopsychiatrie et la thérapie systémique. Elle a notamment donné naissance à la psychogénéalogie et aux thérapies transgénérationnelles, lesquelles tentent de mettre des mots sur les silences transmis d’une génération à l’autre. Mais aujourd’hui, le pendule penche plutôt vers l’autre extrême. Du non-dit, on est passé au tout-dire. Se réclamant de Françoise Dolto, on affirme actuellement avec conviction que « toute vérité est bonne à dire ». Alors qu’en réalité, Dolto recommandait, avec infiniment plus de nuances, de « dire quelque chose qui est sur le chemin de la vérité », d’énoncer plutôt que de dénoncer, d’évoquer plutôt que d’énoncer, et ce toujours avec « les mots pour le dire ». Actuellement, le culte du tout-dire a malheureusement envahi les couples, avec une violence parfois sidérante. Aujourd’hui, on n’hésite pas à blesser son conjoint avec des informations insupportables. On le fait au nom de la valeur suprême de l’honnêteté. Et ce faisant, on confond allègrement honnêteté (qui désigne l’équité, ce qui est juste) et sincérité (qui désigne la transparence : dire ce qu’on a fait, ce qu’on ressent, ce qu’on pense, ce qu’on fantasme…). Or, dans un couple, plus ont est sincère, plus on devient malhonnête ! En effet, en quoi est-il équitable de charger l’autre pour se décharger soi-même ? D’infliger à l’autre le fracas du savoir et de la vérité, afin de se déculpabiliser ou d’expurger ses quatre vérités ? S’opère ici en réalité un passage de la stricte morale à l’éthique (qui est l’étude des fondements de la morale dans un contexte donné). Il y a des choses qui ne peuvent être dites dans un couple, sous peine de l’abîmer, parfois irrémédiablement. Le couple est un mythe (une illusion), que les partenaires se doivent absolument d’entretenir (Neuburger dit que pour former un couple, il faut pouvoir « mensonger ensemble »)… Le couple ne fait pas bon ménage avec la vérité, il lui préfère largement l’insu. Par ailleurs, entre confiance et la fidélité, il faut choisir. Ce sont des notions très différentes. Si la confiance existe dans un couple, cela signifie que chacun peut confier à l’autre ses désarrois, ses difficultés (même sexuelles). Contrairement à la confiance, la fidélité ne peut être un a priori fondateur, elle ne peut qu’en être la conséquence librement consentie. Si le couple choisit de se structurer autour de cette notion de fidélité, la confiance en sera nécessairement absente, qui suppose que l’on puisse justement confier à l’autre ses désarrois, ses tentations, etc. Où commence l’infidélité d’ailleurs, doit-on y inclure les « mauvaises pensées », les rêves érotiques, les fantasmes ?
Le couple a besoin de certains piliers mythiques pour tenir debout. Le pilier principal est probablement la conviction absolue que l’autre n’a d’yeux que pour moi. Aussi stupide qu’elle puisse paraître, cette croyance n’en n’est pas moins indispensable. Tout ce qui vient infirmer cette illusion risque de laminer définitivement le couple. Ceci est remarquablement illustré dans le film de Kubrick « Eyes wide shut ». Un couple échappe de justesse à l’explosion, suite à la révélation, par la femme, d’un simple fantasme - fort ancien de surcroît - pour un autre homme. L’amour et le savoir s’opposent donc, comme le dramatise si bien le mythe de Psyché.
Les travaux du groupe de Palo Alto sur la communication dans le couple, datant des années 60, ont parfois également été mal compris et mal assimilés. Ces chercheurs avaient constaté que les membres de couples en crise ne parvenaient pas à commenter ce qu’ils communiquaient à l’autre, avec quel état d’esprit, suite à quel vécu, etc. Ces chercheurs prônaient dès lors la métacommunication, c’est-à-dire la communication sur la communication. Mais ce qui avait été suggéré uniquement pour les moments de crise, semble souvent s’appliquer aujourd’hui en toute circonstance ! Actuellement, on voit nombre de partenaires davantage spectateurs qu’acteurs de leur couple, plus en train de réfléchir à leur couple qu’à le vivre, tout occupés qu’ils sont à analyser leur communication et à veiller à bien se faire comprendre… partenaires dont certains iront apprendre chez un psychologue à moins psychologiser leur couple !
Le désir se nourrit du manque. Pour maintenir le désir dans un couple, chacun a intérêt à conserver sa part de mystère, à cultiver son jardin secret, à ne pas tout donner à l’autre, à continuer à pouvoir le surprendre. Bref, à ne pas trop, ni trop bien communiquer ! Lacan disait qu’aimer c’est demander à l’autre ce qu’il ne peut pas donner…
En général, le mensonge ne nuit pas au couple. Le mensonge par omission (le pieux mensonge), lui, est tout simplement indispensable. Et le mensonge actif est parfois bien utile au maintien de la mythique du couple (encore une fois, il faut pouvoir se libérer de la stricte morale, et ré-interroger l’éthique au cas par cas). Par contre ce qui peut être fatal au couple, c’est la désinformation. C’est faire croire à l’autre qu’il n’a pas vu ce qu’il a vu, pas entendu ce qu’il a entendu, pas compris ce qu’il a compris, et qu’il ne doit donc pas penser ce qu’il pense (ce qu’on appelle aussi la disqualification) ! Il s’agit donc de « faire prendre des vessies pour des lanternes ». La désinformation est une communication extrêmement toxique puisqu’elle provoque une perte totale de confiance en soi, et plonge dans une confusion insupportable.
En somme, interroger la communication, dans le couple, ne doit se faire qu’avec parcimonie, quand cela s’avère vraiment indispensable, et de façon sécurisée. Il faut pouvoir en quelque sorte appuyer sur la touche pause, et sortir trois pas hors du couple. Pour ce faire, il peut être utile de recourir à la technique de Pryce, le co-fondateur de la gestalt thérapie. Ce jeu communicationnel se joue en 4 rounds. Un des deux partenaires prend la main et débute un round de 5 minutes, en commençant son discours par : « Il est important pour moi que tu saches que… » ; et pendant ces 5 minutes, l’autre offre son écoute, sans mot dire et sans connoter affectivement le discours du premier. Puis, ce sera au tour du second de prendre la main, et au premier d’écouter pendant 5 minutes. Ensuite, le cycle recommence : 5 minutes l’un, 5 minutes l’autre. Après 20 minutes, le jeu s’arrête, et il est strictement interdit d’évoquer les sujets abordés jusqu’au prochain jeu (qu’on prendra soin de ne pas programmer avec trop d’empressement). Au sein de ce jeu, on peut aussi utiliser la technique de Rappoport : parler pour l’autre (de manière croisée), se mettre dans les pantoufles de l’autre, énoncer ses plaintes et ses demandes. Résultat de ces deux jeux : rangeant l’amour-propre de côté, chacun se met à écouter attentivement, sans interrompre l’autre à tout bout de champ pour sauver la face.
Enfin, il serait dommage de parler des hommes et des femmes sans aborder la question de la passion amoureuse et de l’amour. Que peut-on apprendre de la métapsychologie à ce sujet ?
La passion est intensification de la vie, globalisation de soi, supplément de sens, accroissement de l’énergie et de l’élan, sentiment d’exister, euphorie... Autrement dit, l’antithèse, point par point, du vécu de déliquescence et de déréliction propre à la dépression. La passion (dont l’état amoureux et le coup de foudre sont plus ou mois des synonymes) peut ainsi être comprise comme un travail mental destiné à traiter la dépression. Un Prozac naturel, une expression de nos capacités d’auto-guérison ! Il nous faut en effet comprendre la fonction de la passion, car elle est elle-même source de souffrance. Il s’agit donc d’une souffrance consentie (de l’ordre de la tension) servant à éviter une souffrance redoutée (de l’ordre de l’abattement). Dès qu’un vécu dépressif pointe le bout de son nez, une passion peut être enclenchée par l’appareil psychique. La passion se construit sur une illusion : celle de l’accord parfait, avec une chose ou un être (l’âme sœur, l’élu). La recherche de l’orgasme simultané en est l’expression la plus métaphorique. La passion est la construction d’une synchronie fictive, servant à lutter contre le vécu de déréliction. La passion, c’est quand un et un font un. Les « pathos » de la passion sont les inévitables désenchantements, désillusions par rapport à la fusion, à la symbiose, à l’accord parfait désiré ; c’est aussi l’inévitable lourdeur de la passion, le réel qui cogne à la porte de l’obsession, la jalousie ; c’est encore la rage face à sa propre dépendance affective. La conséquence de toutes ces souffrances, c’est le triste constat que un et un font deux. Dans la passion, on prend l’autre comme métonymie du monde : « tu es mon monde » ; or, je suis totalement en phase avec toi ; donc je suis (enfin) en phase avec le monde…. Ceci constitue le syllogisme sophistique de la passion ! La passion procède à un double aveuglement : « tu m’éblouis - donc je ne te vois plus », « tu me fascines - donc je ne vois plus les autres ». Ainsi, la passion est aveugle, contrairement à l’amour, qui est bien clairvoyant lui ! L’objet passionnel est défini par Winnicott comme étant objet d’investissement avant que d’être objet de perception. La passion se termine là où la perception commence. « Surtout ne me dis pas ton prénom ! Jusqu’à présent tu es l’homme idéal car je ne sais rien de toi ; mais imagine que ton prénom ne me plaise pas : ce sera le début du désenchantement. » (Kundera). La passion résulte de la projection d’un idéal sur une sorte d’écran de cinéma sur pieds. La passion est une non-relation d’un sujet à un objet (purement fonctionnel), servant à lutter contre sa propre dépression. La passion est, par essence, narcissique.
L’amour, quant à lui, est intersubjectif. C’est-à-dire qu’il s’agit d’une relation d’un sujet à un autre sujet. C’est aller au-delà du narcissisme (partiellement du moins). C’est sortir en quelque sorte de la relation perverse (duelle et utilisationnelle), et rentrer dans la relation dite névrotique (triangulaire). L’amour c’est quand un et un font trois. L’ensemble est plus (et différent) que la somme des parties. Le couple forme un système (comme l’eau est plus et différente que la somme de 2 H et de 1 O). L’amour, c’est le passage de l’aveuglement à la clairvoyance. On peut parler d’un véritable dualisme amour / passion. L’amour est le plus souvent le fruit d’un malentendu, d’un quiproquo (chacun pense qu’il intéresse l’autre, alors que l’autre est en fait uniquement intéressé par l’intérêt qu’il lui est, pense t-il, porté !). Cet hasard se transforme en nécessité de réparer ses passés douloureux. Le choix d’objet, tel que décrit par Freud, n’existe pas ! Ce choix d’objet est ce que François Duyckaerts appelle « le complexe du sultan ». Selon Lacan, la demande caractérise l’amour, le besoin impérieux de preuves d’amour : recevoir du respect, du temps, du trouble… Dans cette condition, il n’existe ni amour ni preuves d’amour (tel que le pensait Cocteau). Il n’y aurait que des demandes de preuves d’amour ! Une des toutes grandes observations de Freud est que l’ambivalence affective est intrinsèquement liée à l’amour, c’est à dire qu’amour et haine sont indissociables. Cette ambivalence peut s’expliquer par le fait de l’aliénation qui se produit dans l’amour, l’abdication de la volonté propre dans la dépendance amoureuse, le pouvoir exorbitant que l’on place entre les mains de celui dont on est énamouré (« tu peux faire de moi la personne la plus heureuse de la terre si tu accèdes à ma demande, et tu peux faire de moi la personne la plus misérable si tu refuses »). Selon Freud, cette composante haine peut très bien être refoulée, projetée sur l’extérieur, et nourrir ainsi une phobie, voire une paranoïa.
In fine, l’amour échappe à toutes définitions. Il se nourrit du mystère, tel que nous l’enseigne le mythe de Psyché. Cette dernière, simple mortelle, a l’insigne honneur de faire l’amour avec Eros (dieu de l’amour). Mais à la seule condition qu’elle ne cherche jamais à le regarder à la lumière. Après un certain temps, elle finit par désobéir. Alors qu’il est endormi, Psyché découvre Eros à la lueur d’une bougie. Mais, réveillé par la douleur d’une goutte de cire ayant coulé sur sa joue, Eros s’enfuit à tout jamais. Psyché paye ainsi la connaissance, le savoir, par la disparition de l’amour…L’amour reste donc bien cette illusion délicieuse (inventée au 12ème siècle dans les romans courtois), qu’il faut se garder de trop interroger, au risque de le voir s’envoler…
En guise de conclusion, passons la parole au poète, lequel défini très justement l’amour comme quelque chose qui apporte de la légèreté à la vie :
« Sans les ailes que ça vous donne
D’être aimé
On reste au ras des pâquerettes
L’envie de voler si légitime
Passe par des moments intimes
Si l’amour est une montgolfière
La vie un voyage pas long à faire
Montons au-dessus des villes des campagnes
Sous l’effet de nos baisers de propane
Cœurs légers dans les nacelles
Les amoureux volent dans le ciel
Laissant en bas les cœurs lourds
De ceux qui n’ont pas d’amour
La vie sans l’amour et ses délices
Qu’en est-il
C’est comme un avion sans hélice
Inutile
On reste au ras des pâquerettes »
« Au ras des pâquerettes » - Alain Souchon