En psychologie dynamique, la mentalisation désigne l’ensemble des processus mentaux visant à traiter l’expérience vécue, ce afin de la rendre assimilable par l’appareil psychique. La digestion mentale des vécus, en quelque sorte.
Pour bâtir ces « châteaux en Espagne hypniques » que sont nos rêves, nous utilisons, comme « pierre naturelle », ce que Freud appelait les résidus diurnes : certains événements de la veille, ou des faits plus anciens, qui nous ont suffisamment marqués, d’une manière ou d’une autre, pour que nous prenions la peine de les « extraire » à cet effet. Pour qualifier ce matériau de base de nos constructions oniriques, j’ai, personnellement, un faible pour la locution Vestiges du jour — titre d’un film mémorable des années nonante —, tout de même plus poétique. « Vestiges des jours » conviendrait mieux, d’ailleurs. Mais de combien de jours, justement, ces vestiges ont-ils besoin pour se retrouver dans nos rêves ? Répondre à cette question, c’est, d’une certaine manière, découvrir le temps nécessaire à la digestion mentale.
Une observation de Michel Jouvet — le célèbre neurobiologiste lyonnais qui a découvert, en 1959, le sommeil paradoxal (lequel entretient une relation étroite avec les rêves) — nous fournit un élément de réponse.
Jouvet s’est intéressé aux événements qui « font événement ». Ceux qui sortent de l’ordinaire, si vous voulez. Comme prendre l’avion, par exemple (pour celui qui n’est pas coutumier du fait, bien entendu). Il s’est rendu compte, alors, que ces événements ne font généralement leur apparition, dans le scénario onirique, qu’après six à huit jours !
Si nous avons l’occasion de déguster un repas exceptionnel dans un grand restaurant, une demi-journée devrait suffire à le digérer. Mais la digestion mentale de ce festin nécessitera, elle, beaucoup plus de temps (sauf pour un critique gastronomique, cela va de soi) ! Une semaine, probablement. C’est le temps qu’il faudra à l’appareil mental pour intégrer, assimiler cette expérience inhabituelle. La mentalisation semble donc être un processus assez lent. Un cerveau ne digère pas aussi vite qu’un estomac.
Ou bien si, mais c’est que nous avons affaire, alors, à l’appareil digestif d’une vache ! C’est-à-dire que — à l’instar de l’incessant va-et-vient de nourriture entre la bouche et le quadruple estomac du sympathique bovin — l’expérience vécue est ruminée par le cerveau.
Notez bien qu’il n’est point, ici, question des expériences de vie significativement douloureuses. La digestion de ces dernières nécessite, en effet, beaucoup plus de temps. Car il faut, au préalable — et ce afin d’être ultérieurement en mesure de les assimiler —, rendre supportables ces vécus de mal-être insupportables. Les « détoxifier », les rendre propres à la consommation !
Le deuil d’une personne chère, par exemple, nécessite souvent de nombreux mois de digestion, parfois des années… voire même la vie entière, lorsque le deuil s’avère pathologique.
Quant aux événements traumatiques, ils sont — par définition — indigérables ! Ils nous restent « sur l’esprit », parfois ad vitam aeternam. Nuitamment, les nausées psychiques qu’ils occasionnent se traduisent, alors, par l’apparition de cauchemars récurrents post-traumatiques. Et ce, jusqu’à ce que soit consommé le « vermouth mental » adéquat…
Lequel peut prendre diverses formes : la mobilisation de ressources mentales jusque-là inexploitées, la survenue d’événements de vie particuliers permettant de vivre une « expérience émotionnelle corrective », l’initiation d’une démarche psychothérapeutique, etc.