Le couple : mode d’emploi

Roland Pec


Cet article fait suite à celui intitulé « Hommes femmes : mode d’emploi ». Comme ce dernier, il est la version écrite et synthétique d’un séminaire (donné dans le cadre de l’asbl « Thema Culture » en 2005-2006).

Le sujet étant au moins aussi vaste que le précédent, l’idée du « mode d’emploi » est à prendre une fois de plus pour une formule à la fois provocatrice et humoristique, servant à faire ressortir, par contraste, sa complexité.

C’est une chanson qui a inspiré le fil conducteur de ma réflexion. Il est de notoriété publique que les meilleurs livres de psychologie se trouvent parmi les romans et les recueils de poèmes. Alors, pourquoi pas une chanson ?

La chanson en question est « Un homme heureux », de William Sheller. En voici les paroles :

Pourquoi les gens qui s’aiment

Sont-ils toujours un peu les mêmes

Ils ont quand ils s’en viennent

Le même regard d’un seul désir pour deux

Ce sont des gens heureux

Pourquoi les gens qui s’aiment

Sont-ils toujours un peu les mêmes

Quand ils ont leurs problèmes

Ben, y a rien à dire

Y a rien à faire pour eux

Ce sont des gens qui s’aiment

Pourquoi les gens qui s’aiment

Sont-ils toujours un peu rebelles

Ils ont un monde à eux

Que rien n’oblige à ressembler à ceux

Qu’on nous montre en modèle

Pourquoi les gens qui s’aiment

Sont-ils toujours un peu cruels

Quand ils vous parlent d’eux

Y a quelque chose qui vous éloigne un peu

Ce sont des choses humaines

Ce qui m’a immédiatement frappé, c’est que, dans cette chanson composée de quatre couplets, il y en a trois qui parlent strictement de la même chose. En effet, alors que le premier couplet traite de la question du désir et de celle de la passion (par le truchement de la fusion) – « ils ont le même regard d’un seul désir pour deux », les 3 derniers couplets sont consacrés à un seul et même sujet, celui de la singularité du couple, de sa différence, et donc de son identité (tant d’ailleurs l’identité du couple lui-même, que celle conférée par le couple à ses membres) – « quand ils ont leurs problèmes, y a rien à dire, y a rien à faire pour eux », puis « ils ont un monde à eux que rien n’oblige à ressembler à ceux qu’on nous donne en modèle » et enfin « quand ils vous parlent d’eux, y a quelque chose qui vous éloigne un peu ». Dans sa chanson sur le couple, et au risque de lasser son public, le poète a donc cru bon de se répéter par trois fois. Et ce faisant, je pense qu’il a eu une excellente intuition. Car c’est là, dans cette notion de différence, d’identité, que bat probablement le cœur du couple.

Mais commençons par le commencement : couplet n° 1 - le désir. Tout d’abord, notons que le désir est devenu une dimension essentielle du couple. En Belgique, actuellement, un couple sur deux divorce (deux sur trois à Bruxelles) ! Et la raison le plus souvent invoquée est la chute (ou la disparition) du désir, de la séduction, de l’élan amoureux - et non pas une diminution de l’amour, comme on pourrait le croire). A ce titre, il est important de distinguer l’élan amoureux de l’amour. Le mot « amoureux » n’est pas l’adjectif du mot « amour », l’adjectif de ce dernier étant le mot « énamouré » ; le mot « amoureux » réfère plutôt au désir et à la passion (ce qui transparaît bien, pour poursuivre dans la variété française, dans la chanson de Chimène Bady : « Redevenir amoureux de la personne qu’on aime »). L’amour et le désir sont donc des notions distinctes. Et on peut même avancer que, dans une certaine mesure, l’amour tue le désir (puisque l’un comble alors que l’autre frustre). Ainsi donc, aujourd’hui, la plupart des gens qui se séparent s’aiment encore (ce qui complique d’ailleurs furieusement les relations ultérieures), mais ne se désirent plus suffisamment.

Maintenant, qu’est-ce que le désir ? On peut penser avec Jacques Lacan que le désir c’est ce qui fait d’un être humain un sujet, c’est ce qui le différencie d’un objet. Un objet peut être désiré, mais il n’est jamais désirant. Dans une relation saine, de sujet à sujet, chacun a droit à son désir, et le désir de chacun est reconnu ; refuser de reconnaître le désir d’autrui équivaut à le transformer en objet, ce qui est d’ailleurs le propre de la relation perverse. Par ailleurs, le désir se distingue fondamentalement du besoin. Le besoin est instinctuel (propre à l’espèce), il est lié au corps (à une tension dans le corps), il pousse à agir (il est en cela une impulsion) et il se satisfait du réel (et le moteur s’arrête à ce moment-là). Le désir quant à lui est subjectif (propre au sujet, telle une empreinte digitale), il est lié au mental (à l’imaginaire), il ne pousse pas nécessairement à agir (il répond à la définition de la pulsion), il se nourrit de fantasmes, et par là-même il n’est jamais satisfait (ainsi le moteur est toujours relancé). Françoise Dolto disait que « le besoin c’est terminé et le désir continue », et le psychanalyste liégeois François Duyckaerts enseignait que « du besoin au désir, il y a un saut du répétitif au tendanciel ». C’est donc l’idée de l’asymptote qui est associée au désir. De nombreuses dimensions de l’existence peuvent être vécues tant sur le mode du besoin que sur celui du désir. Ainsi, on peut éprouver un besoin sexuel – autrement dit une poussée strictement instinctuelle, visant à réduire une tension corporelle, et aboutissant à un plaisir. Et on peut par ailleurs avoir un désir sexuel, distinct du besoin, consistant en une poussée strictement personnelle, visant à la réalisation d’un fantasme, celui de la jouissance ultime, et aboutissant toujours, par définition, à une frustration. Le désir est donc en même temps le moteur de la vie psychique et une source intarissable de souffrance, puisqu’il se nourrit du manque, de l’incomplétude. Voilà d’ailleurs pourquoi le bouddhisme est essentiellement une philosophie de l’anéantissement du désir (rappelons les quatre nobles vérités de Bouddha : l’homme souffre, sa souffrance est due au manque lié au désir, l’homme peut ne plus souffrir, il doit pour cela s’atteler à annuler ses désirs).
Il découle de tout cela qu’entre un homme et une femme, le désir n’apparaît et ne se maintient qu’à la condition sine quoi non que soit distillé et entretenu le manque, la frustration. La séduction, et ses jeux, n’est d’ailleurs rien d’autre qu’une entreprise de frustration. Se faire désirer, c’est gérer habilement l’empêchement. Si les Capulet et les Montaigu avaient été copains, Roméo et Juliette auraient tout au mieux vécu une amourette !

Encore un petit bout de chanson, de l’excellent Bénabar cette-fois, pour illustrer cette idée :

Le combiné dans les mains j’hésite et je raccroche

Pas pressé d’passer pour celui qui s’accroche

Fébrile et collant ça donne pas vraiment envie

Lointain et distant, j’sais pas pourquoi mais c’est sexy

Même si je ne pense qu’à elle, si je rêve de la revoir

Vade retro téléphone, elle ne doit pas le savoir

Nos meilleurs techniciens se sont penchés sur la formule

C’est trois jours au moins le résultat de leurs calculs

Faut pas qu’j’l’appelle

Attendre encore quelques jours

Faut pas qu’j’l’appelle

Pas encore, c’est trop court

Voilà pour le désir. Alors, dans le premier couplet de « Un homme heureux », il était également question de fusion - et donc de passion. Qu’est-ce que la passion ? On peut dire que c’est un état psychique dans lequel la vie s’intensifie, où l’énergie est accrue, où l’on se sent recomposé, globalisé autour de l’objet passionnel, où les choses semblent -enfin- avoir un sens (une signification et une direction), où on a le sentiment vif d’exister... Soit l’antithèse, point par point, du vécu de déliquescence et de déréliction propre à la dépression. C’est pourquoi la passion (l’état amoureux) peut donc être comprise comme un travail mental destiné à traiter un vécu possible de dépression. Un antidépresseur naturel en quelque sorte, une expression de nos capacités psychiques d’autoguérison ! La passion doit en effet avoir une fonction psychique, puisqu’elle est par ailleurs elle-même source de souffrance (de « pathos »). En somme, il s’agirait donc d’une souffrance consentie (de l’ordre de la tension) servant à éviter une souffrance redoutée (de l’ordre de l’abattement). Sur un autre plan, la passion se construit sur une illusion : celle de la fusion (l’accord parfait) avec l’objet passionnel (l’âme sœur, l’élu). Dans la relation sexuelle, cette illusion de la fusion se trouve renforcée par le fait de la pénétration, et plus encore, par celui de l’orgasme simultané. La passion, dans le fond, c’est quand un et un font un. Les « pathos » de la passion sont liés aux inévitables désenchantements de la fusion. La réalité vient sans cesse cogner, et arrive inévitablement le jour où, sortant du cinéma, l’un a aimé le film et l’autre pas ! Ces désenchantements finissent par détruire la passion, et chacun est alors obligé d’en revenir à la logique arithmétique de base, celle où un et un font deux. Si on regarde les choses encore plus dans le détail, le processus passionnel consiste en un syllogisme sophistique (c’est à dire un raisonnement - faussement logique - en trois étapes). D’abord, le passionné prend l’autre comme métonymie du monde (la métonymie consiste à prendre la partie pour le tout) : « tu es mon monde » ; or, le passionné se sent totalement en phase avec l’autre (c’est l’illusion de la fusion) ; dès lors, il est (enfin) en phase avec le monde. Ainsi réaccordé, il ne déprime donc plus ! Pour créer l’illusion de la fusion, la passion procède à un double aveuglement : « tu m’éblouis » - donc je ne te vois plus, « tu me fascines » - donc je ne vois plus les autres. La passion est donc aveugle, contrairement à l’amour qui voit très clair, lui ! On peut d’ailleurs avancer que la passion se termine là où la perception commence.

Dans un roman de Kundera, le personnage féminin dit à son amant d’une nuit, en le bâillonnant de sa main : « Surtout ne me dis pas ton prénom ! Jusqu’à présent tu es l’homme idéal, car je ne sais rien de toi. Maintenant, imagine que je n’aime pas ton prénom : ce sera le début du désenchantement ! ». De nombreux couples se séparent dès lors que la passion s’éteint, dès lors que le désir s’évanouit… et que le reste ne suit pas…

Le reste ! Quel reste ? Revenons une fois encore à notre chanson. Et rappelons-nous que les trois derniers couplets ne sont que des variations sur un même thème, celui de l’identité. Et bien, le voilà notre reste ! L’identité est probablement le cœur battant du couple, c’est ce qui reste (ou ne reste pas) lorsque le désir et la passion se sont érodés. Une vignette clinique (livrée par Robert Neuburger) pour introduire le propos. Monsieur et Madame forment un couple depuis plusieurs décennies. Et cela fait naturellement bien longtemps que des difficultés ont vu le jour. Mais, récemment, les choses ont pris un tour nouveau, ce qui a d’ailleurs motivé la demande de thérapie. Le point est le suivant : depuis le début de leur mariage, à chaque fois que Madame demande à Monsieur s’il aime les épinards, ce dernier répond : « c’est bon pour la santé ». Le mois dernier, lorsque Monsieur a, sans crier gare, répondu : « oui, j’aime les épinards », Madame a su que son couple était en péril ! L’un et l’autre sacrifiaient depuis toujours à ce rituel, à ce jeu, qui spécifiait ce couple, qui le différenciait de tous les autres. Maintenant que Monsieur a décidé, unilatéralement, de « déspécifier » le couple, de lui faire perdre son identité, Madame sait que les choses sont fortement compromises.

Dans le fond, la bonne question à se poser est : à quoi ça sert de vivre en couple (alors que c’est si compliqué) ? Et la réponse pourrait bien être : à se procurer plus d’identité ! En langage freudien, on dirait : à réaliser la pulsion du moi. La fonction du couple n’aurait donc pas grand chose à voir avec le désir, ni même avec l’amour. Il peut d’ailleurs très bien y avoir de l’amour sans couples, tout comme il peut y avoir des couples sans amour. Le point central de cette réflexion est l’axiome suivant : si on peut très bien vivre tout seul (ce qui est une réalité biologique), on ne peut pas se faire exister tout seul (ce qui est un sentiment). On a besoin de passer par les autres, on a besoin d’appartenir à des groupes, afin de se procurer le sentiment d’exister, afin d’étoffer son identité. Dans cette perspective, et pour paraphraser Sartre, on pourrait dire que « l’enfer, c’est l’absence des autres », on n’existe pas sans les autres. Sans « tu », point de « je » ! Pour exister, il faut pouvoir développer un sentiment d’appartenance. Or actuellement, on constate que le couple est le groupe d’appartenance le plus investi dans notre société, et c’est donc par conséquent le principal support identitaire. Ceci est probablement lié à la déliquescence des autres grands groupes d’appartenance au cours du siècle passé (je pense notamment à la famille d’origine – le clan familial, au groupe religieux, au groupe politique, au cercle professionnel, etc.). Aujourd’hui, force est de constater qu’il n’y a plus que la dimension couple qui soit véritablement porteuse d’espoir, de réussite et d’identité. A notre époque, nous vouons un véritable culte à notre couple, en tant que groupe d’appartenance. Nous tenons d’ailleurs souvent plus à cette appartenance qu’à la relation elle-même !

On peut penser à ce propos que si le couple contemporain va mal, c’est parce qu’il est surchargé. Parce que ce qui était, naguère, réparti sur plusieurs groupes, repose à présent sur les seules épaules de deux individus. On en demande probablement trop au couple aujourd’hui. Le couple moderne doit répondre à des attentes plus importantes, et suscite donc des déceptions plus fréquentes. C’est probablement ce qui explique le taux incroyablement élevé de divorce. Notons incidemment que la mort du couple entraîne, ce faisant, chez chacun de ses membres, un double deuil : d’abord celui de la perte affective du partenaire, et ensuite celui de la perte du support identitaire. Et cette perte-là entraîne un sentiment de désappartenance, distinct de la simple solitude affective.

Le couple est le plus petit groupe que l’on puisse imaginer. C’est un club exclusif qui, en se faisant exister, s’institutionnalise lui-même, fait tiers pour deux personnes. Ainsi, on peut dire que le couple est une troisième personne, créée par les deux individus qui le composent. Un et un font trois, selon la belle expression de Philippe Caillé.

On voit dès lors maintenant se dégager clairement l’évolution d’un couple dans le temps, son histoire naturelle. Lorsqu’un couple naît, un et un font un. S’il persiste suffisamment longtemps, alors un et un font deux. Et s’il survit à cette crise, alors un et un font trois.

Cette troisième personne, cette pure création du couple, Philippe Caillé l’appelle l’absolu du couple et Robert Neuburger l’intime du couple. Dans le fond, un couple n’est rien d’autre que cette création. Cet ensemble de croyances et de valeurs (les mythes du couple) et de comportements répétitifs (les rituels de couple), qui permet de différencier ce petit groupe de tous les autres. Et qui confère ainsi une identité à ses deux membres.

A titre d’exemple, les mythes peuvent être : l’importance accordée, dans le couple, à la bonne communication, à la confiance, à la fidélité, au respect, à la résistance, à la liberté, à la désobéissance, à la dignité, aux convictions politiques, religieuses, etc. Et, dans pratiquement tous les cas, les couples se créent sur un mythe de prédestination et d’exceptionnalité (ce dernier étant très bien illustré dans le film mettant à nouveau en scène Edouardo Di Caprio et Kate Winslet : « Revolutionary road »). Et puisque la conservation des mythes est une priorité absolue, les couples qui ne vont pas bien sont souvent ceux qui communiquent trop et trop bien. Et non l’inverse ! La mode actuelle est au tout-dire. Se réclamant de Françoise Dolto, on affirme aujourd’hui avec conviction que « toute vérité est bonne à dire ». On le fait au nom de la valeur suprême de la sincérité (qui désigne la transparence), laquelle est allègrement confondue avec celle de l’honnêteté (qui désigne l’équité, ce qui est juste). Dans les couples d’aujourd’hui, on se jure sincérité, pensant ainsi poursuivre un idéal d’honnêteté. Or, au sein des relations affectives fortement investies, plus ont est sincère, plus on risque de devenir malhonnête ! En effet, en quoi est-il équitable de charger l’autre, de lui infliger le fracas du savoir, afin de s’alléger soi-même ? Mais il y a encore plus grave que cette violence. Certaines choses ne peuvent tout simplement pas être dites dans un couple, sous peine de l’abîmer, parfois de manière irrémédiable. On l’a vu, un couple repose sur ses mythes (ses illusions). Ses deux membres doivent donc absolument entretenir ces illusions, qui sont les véritables piliers de tout l’édifice. Un couple ne fait pas bon ménage avec la vérité. L’insu lui convient beaucoup mieux. D’ailleurs, d’une manière générale, le mensonge ne nuit pas au couple. Le mensonge par omission (le pieux mensonge), lui est tout simplement indispensable. Et le mensonge actif est parfois bien utile. Neuburger a cette très jolie formule : « être en couple, c’est mensonger ensemble » ! Ce qui est extrêmement délétère, par contre, c’est la désinformation. Cela consiste à faire croire à l’autre qu’il n’a pas vu ce qu’il a vu, pas entendu ce qu’il a entendu, pas compris ce qu’il a compris, et qu’il ne doit donc pas penser ce qu’il pense (ce qu’on appelle aussi la disqualification) ! La désinformation fait prendre « des vessies pour des lanternes », et peut tout simplement rendre fou. A proscrire absolument. Sur un tout autre plan, rappelons-nous que le désir se nourrit du manque. Pour le maintenir en vie, dans un couple, chacun a donc intérêt à conserver sa part de mystère, à cultiver son jardin secret, à ne pas tout lâcher à l’autre. Autrement dit : à ne pas trop communiquer ! Lacan disait d’ailleurs qu’aimer, c’est demander à l’autre ce qu’il ne peut pas donner. In fine, rappelons-nous le mythe de Psyché. Cette dernière, simple mortelle, a l’insigne honneur de faire l’amour avec Eros (dieu de l’amour). Mais à la seule condition qu’elle ne cherche jamais à le regarder à la lumière. Après un certain temps, elle finit par désobéir. Alors qu’il est endormi, Psyché découvre Eros à la lueur d’une bougie. Mais, réveillé par la douleur d’une goutte de cire ayant coulé sur sa joue, Eros s’enfuit à tout jamais. Psyché paye ainsi le savoir de la disparition de l’amour…

Les rituels, quant à eux, cadrent les actes importants de la vie quotidienne du couple, notamment lors des repas et de la sexualité. Ce sont des gestes, des regards, des clins d’œil, des petits mots, des façons de s’appeler, des plaisanteries privées, des allusions, etc.

Le couple idéal serait celui qui réussit la difficile acrobatie qui consiste à créer et à conserver un absolu de couple, tout en restant intégré dans la société, tout en étant reconnu par elle. Etre différent à l’intérieur (bizarre, voire fou), et normal à l’extérieur. La seule folie qui puisse transparaître à l’extérieur étant les scènes de ménage, qui participent éminemment de l’identité du couple : « nous, on est les seuls au monde à se disputer pour ça, et comme ça ! ».

Arrivé au terme de cette réflexion, il me semble intéressant de présenter les résultats d’une étude sociologique récente, menée en Suisse par Jean Kellerhals, sur 1200 couples. La sociologie, c’est la vision large, celle qui vient avantageusement compléter la vision plus étroite du psychologue, fondée quant à elle sur le cas par cas.

D’abord, ce sociologue note, très justement, que les couples sont passés en quelques décennies du prêt-à-porter social au sur-mesure à décider soi même. Ce qui a entraîné beaucoup d’enthousiasme, mais également une angoisse profonde, qui n’est probablement pas étrangère aux difficultés rencontrées actuellement par les couples.

Ensuite, il distingue 5 types de couple différents, qu’il classe selon 4 axes principaux. Il décrit ainsi le couple Bastion (fermé sur lui-même, fusionnel, normatif et dans lequel les rôles sont définis), le couple Cocon (fermé sur lui-même, fusionnel, spontané et dans lequel les rôles ne sont pas définis), le couple Association (ouvert sur l’extérieur, non fusionnel, spontané et dans lequel les rôles ne sont pas définis), le couple Parallèle (fermé sur lui-même, non fusionnel, normatif et dans lequel les rôles ne sont pas définis) et enfin le couple Compagnonnage (ouvert sur l’extérieur, fusionnel, spontané et dans lequel les rôles sont définis). Ce qui est très intéressant, c’est que Kellerhals constate que les couples Parallèle et Association ont plus de difficultés que les couples Bastion, Cocon et Compagnonnage ; et d’ailleurs, ils se séparent deux fois plus. La configuration idéale serait un couple à la fois ouvert sur le monde (ce qui permet de fournir à ses membres plusieurs sources d’identité), fusionnel (ce qui tord le cou à un sacré mythe) et où chacun a un rôle défini (jouer la carte de la complémentarité, du puzzle) ; donc, en somme, toutes les caractéristiques du couple Compagnonnage.

Et pour finir, il identifie trois modes différents de gestion des problèmes par le couple (ce qu’on appelle en anglais le coping). Il distingue le mode Cognitif (qui consiste à définir le problème qui se pose et à s’informer à son sujet), le mode Affectif (qui consiste à s’enquérir de ce que l’autre ressent face au problème, de ses émotions) et enfin le mode Action ( qui consiste à décider une action, à l’exécuter et à contrôler les résultats). Il note que les Associations sont surtout dans le Cognitif, les Cocons dans l’Affectif, les Bastions dans l’Action, et que seuls les Compagnonnage sont dans les trois à la fois. La supériorité des Compagnonnage se confirme donc une fois encore.

La conclusion finale - et très surprenante - de cette étude, est que le coping serait la variable-clé du bon fonctionnement d’un couple ! Autrement dit, un couple qui fonctionne bien serait avant tout une organisation d’entraide mutuelle (la définition même du compagnonnage), qui parvient à bien gérer les problèmes qui se posent à elle.

Une vision quelque peu dépoétisée du couple…

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