Chronique de mars 2023 États de conscience et états de vigilance (Muse ou pas muse ?, partie 3)

Autres créations, autres déceptions.


Il est actuellement admis que le fameux « rêve » qui inspira à l’écrivain écossais Robert Louis Stevenson l’intrigue de sa célèbre (et très longue : 114 pages) nouvelle L’étrange cas du Docteur Jekyll et de Mister Hyde (1886) n’était, en réalité, que les rêveries (autrement dit le rêve éveillé) d’un insomniaque.

Idem pour Howard Phillips Lovecraft et sa nouvelle intitulée La Tombe, William Blake et son procédé de gravure sur cuivre et — déception des déceptions — Paul McCartney et la célébrissime mélodie de sa chanson Yesterday… fruit d’une rêverie occasionnée par une insomnie de fin de nuit, agrémentée, dans le meilleur des cas, d’une hallucination hypnopompique.

René Magritte, pour sa part, peintre onirique par excellence, ne confiait-il pas : « Je ne peins pas mes rêves. Lorsque je me retrouve dans un demi-sommeil, les objets se révèlent à moi par des jeux d’associations d’idées ou d’affinités électives » ? Rêveries, et hallucinations hypnagogiques, donc.

Quant à Salvador Dalí, pendant catalan du maître belge, ami de Jacques Lacan et féru de psychanalyse, il attribuait ses visions oniriques au « mentisme », notion psychologique assez confidentielle désignant un défilé ininterrompu d’images et de pensées, confinant parfois au délire, mais survenant le plus souvent hors de tout contexte pathologique. Ce flux de représentations mentales, fondement de la fameuse « méthode paranoïaque-critique » mise au point par l’artiste, se déclenche habituellement à la faveur de l’endormissement… auquel il s’oppose. Les visions apparaissent dès lors à l’éveil, au cours des insomnies d’initiation induites par celles-ci !

Seul André Breton, chef de file ainsi que théoricien du mouvement surréaliste (dont Magritte et Dalí furent les figures de proue), semble avoir fait exception (si l’on porte crédit à sa sincérité, du moins). Dès 1935, en effet, il se met à reconstituer ses rêves sous forme de maquettes, qu’il baptise « rêves-objets »… œuvres dont l’histoire de l’art n’a gardé que peu de souvenirs.

Ainsi donc, en dépit d’une vision antique bien ancrée, réapparue une première fois à la Renaissance, une seconde au cours du XIXe siècle et toujours vivace aujourd’hui dans l’imaginaire populaire, il nous faut bien admettre que seul l’état vigile (en ce compris les moments, très brefs [au niveau cortical, du moins], de transition veille/sommeil et sommeil/veille) est réellement propice à la survenue des idées originales. L’inspiration est le fruit d’une modification de l’état de conscience, certes, mais non de l’état de vigilance (exception faite de l’hypnagogue et de l’hypnopompe, donc).

Les deux autres états de vigilance que nous partageons avec la plupart des mammifères et des oiseaux — à savoir le sommeil orthodoxe (léger et profond) et le sommeil paradoxal (tonique et phasique) — ne sont donc pas directement impliqués dans le processus d’inspiration… ce qui ne veut pas dire que rien ne se passe en coulisse. C’est à l’éveil, en effet, que tant la pensée créatrice que créative jaillit, comme si elle sortait de nulle part ; mais elle ne sort pas de nulle part, bien évidemment. C’est ce que la notion d’incubation suggère… et que les neurosciences semblent aujourd’hui confirmer.


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