Chronique de décembre 2016 Opérateur de reliance De la nature des rêves (partie 4)

Plaçant pareillement la relation au centre de leurs préoccupations, certains anthropologues avancent même l’idée selon laquelle le rêve servirait, avant toute chose, à faire du lien !


Puisque les rêves poussent leurs auteurs à se les raconter les uns les autres, ils sont, par essence, créateurs de lien social.

Véritable opérateur de « reliance » (le terme est du psychosociologue belge Marcel Bolle de Balle), le rêve apporterait sa pierre à la régulation sociale, gratifiant les hommes d’un supplément de paix et de « religion » (au sens premier du terme). Ce dont nous avions déjà eu vent, du reste, lors de l’évocation des mœurs pacifiques, et fort civiles, des membres de la tribu malaise des Sénoïs (probablement la dream culture qui a fait l’objet du plus grand nombre d’études).

Au fur et à mesure, une toile invisible se tisse, inévitablement, entre ceux qui ont pour habitude de partager leurs rêves. Créant, de la sorte, une communauté « virtuelle », un sous-groupe officieux, au sein du groupe officiel. Un club privé, dans lequel chacun s’engage à jouer, en alternance, le rôle d’émetteur et de récepteur onirique.

Et voilà, en quelque sorte, comment sont nés les premiers intranets de l’histoire… les ARPANET du rêve ! Quant aux dream cultures — au sein desquelles les rêves se racontent en tribu —, c’est, ni plus moins, internet qu’elles ont inventé… le DWW : Dream Wide Web !

Un internaute du XXIe parlerait d’ego exposition, de selfie et d’intimité dévoilée… tant il est vrai qu’au travers du récit d’un rêve, c’est l’intimité la plus intime qui est livrée aux oreilles indiscrètes de l’auditeur (des auditeurs, dans le cas des dream cultures). Une intimité à ce point intime, qu’elle échappe, le plus souvent, au rêveur lui-même… ce dernier ne sachant jamais, vraiment, ce que son récit trahit de sa personnalité, de ses désirs, de ses souffrances, de ses défenses, etc.

Voilà pourquoi raconter un rêve c’est prendre le risque de voir un jour cette confidence se retourner contre soi ! Cette façon de se rendre vulnérable, d’offrir à l’auditeur « le choix des armes » témoigne de l’immense confiance qui lui est accordée (Confiance que — pour cette raison, précisément — Freud refusa d’accorder à Jung, alors qu’ils voguaient, tous deux, en direction de New York [comme on peut le découvrir dans A Dangerous Method, le film du réalisateur canadien David Cronenberg]).


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