Hypothèse alternative, tout aussi fascinante : les rêves correspondent à la vie réelle vécue par nos innombrables avatars dans les autres mondes du Multivers !
Il s’agit là d’une référence à la « Théorie des mondes multiples », issue de la physique quantique et élaborée par le physicien Hugh Everett dans les années 1950 (en réaction, une fois encore, à l’« Interprétation de Copenhague »), dans laquelle la « superposition des états mesurés » se substitue à la « bifurcation des états mesurés ».
Dans ce cas de figure, ce qu’on appelle la « vie réelle » est celle vécue par la version de notre moi vivant dans ce monde-ci. C’est l’hypothèse, que l’on retrouve dans Docteur Strange dans le multivers de folie, film très divertissant de Sam Raimi, réalisé en 2022. Les rêves y jouent même un rôle supplémentaire : celui de permettre de marcher d’un monde à l’autre (notion de « dreamwalking », empruntée à la parapsychologie), l’équivalant des « trous de vers » dans l’espace-temps, imaginés par les astrophysiciens !
D’une manière générale, l’intrication rêve/réalité a d’ailleurs exercé une influence considérable sur l’imagination des auteurs (et cinéastes) de science-fiction, et ce depuis la naissance du genre au XIXe siècle.
Un sommet est probablement atteint avec Total Recall, film réalisé en 1990, par Paul Verhoeven (avec Arnold Schwarzenegger, dans le rôle-titre), tiré d’une formidable nouvelle de l’inépuisable Philip K. Dick, Souvenir à vendre (1966). L’entremêlement entre rêve et réalité y est si complexe, que le récit vaut la peine d’être brièvement conté.
Ce dernier s’articule autour du principe des matriochkas (poupées gigognes, ou poupées russes) : la réalité est encapsulée dans un premier rêve, lequel est, lui-même, encapsulé dans un second.
Dans la réalité, Hauser est un agent secret sévissant sur la planète Mars. Il travaille à la solde de l’infâme Cohaagen, administrateur de la planète (ainsi que de ses précieuses mines de turbinium), qui tient ses administrés en esclavage (des mineurs, pour la plupart) et délabre leur santé à coups de privation d’oxygène. Afin de remonter jusqu’à Kuato, le chef des rebelles, les deux compères décident de recourir à Rekall, une technologie permettant l’implant de faux souvenirs (et l’effacement concomitant des vrais). Des rêves éveillés, en somme, plus vrais que nature.
Hauser se fait ainsi implanter l’identité fictive d’un Hauser repenti (dont le pseudonyme est Brubaker), ex-agent de Cohaagen s’étant rallié, depuis, à la cause des rebelles.
Un secret de nature à renverser le despote est implanté, par la même occasion, mais sous une forme « résiduelle » : bien qu’il en connaisse l’existence, Brubaker n’en connaît point la teneur.
La ruse est habile. Puisqu’Hauser croit réellement être Brubaker, et puisqu’il détient réellement, au fond de sa mémoire insue, un secret capital pour les rebelles, il finit par inspirer confiance à ces derniers. Ceci constitue le niveau de rêve n°1 d’Hauser.
Mais les choses ne s’arrêtent pas là. Afin de rendre Brubaker encore plus crédible, un second faux souvenir est implanté, qui vient recouvrir le premier. Brubaker se transforme alors en Quaid, brave terrassier, sans histoires, bercé par une routine confortable, ici, sur Terre. Ceci constitue le niveau de rêve n° 2 d’Hauser.
Pour corser le tout, la narration s’effectue à rebours, le récit se transformant, dès lors, en quête identitaire…