Le mois passé, nous avons découvert qu’un rêve correspondait, en réalité, non pas à un, mais à trois niveaux de réalité bien distincts : celui du vécu, celui de la mémoire et celui de la parole (lesquels correspondent, eux-mêmes, à trois temps successifs : celui de la production, celui de la remémoration et celui du récit). Or, les deux états de vigilance morphéiques ne sont pas égaux face à ces trois niveaux : alors que le sommeil paradoxal est favorable aux compétences mnésiques et verbales, le sommeil orthodoxe est, quant à lui, plus doué pour les compétences visuo-spatiales.
Et voilà que, sachant cela, la lumière, subitement, jaillit !
Car, s’il est vrai que les rêves sont produits dans tous les stades de sommeil, il n’en est pas moins vrai qu’ils sont plus facilement capturables en sommeil paradoxal.
C’est que l’on dispose, alors, de plus de mémoire pour s’en souvenir, et de plus de mots pour les raconter. « Capturable »… l’astucieuse expression est de Lucie Garma, la somnologue — psychiatre de son état — qui fit œuvre de pionnière, en France, en osant réfuter l’équation : Rêve = REM.
À l’instant même où il me fut donné d’entendre l’éclairante formule — de la bouche même de son auteure (c’était en 1997, dans sa classe de DIU veille/sommeil, à l’Hôpital Henri Mondor, à Créteil) —, je ne pus m’empêcher de voir apparaître, devant les yeux, un cow-boy muni de son lasso !
Je le voyais chevaucher son appaloosa fougueux, sur les terres du far-Hypnos — le lointain Pays du Sommeil —, à la recherche de beaux spécimens de rêves sauvages à ramener au corral… Mon cow-boy ne s’aventurait jamais dans les forêts de sommeil orthodoxe, et moins encore dans les bosquets de sommeil profond, car les arbres y exhalaient un gaz délétère qui rendait les lassos complètement inopérants ! Mais, dans les vastes prairies de sommeil paradoxal, bien à découvert — le lasso indemne —, capturer un rêve s’avérait être un jeu d’enfant pour mon garçon vacher. A piece of cake ! Tous les rêves entassés dans le corral avaient, d’ailleurs, été, pareillement, capturés dans les vertes prairies du REM.
Cette image de la capture est lumineuse, au sens propre du terme. Elle aide à sortir du brouillard épais de la confusion ; elle autorise la synthèse entre des données qui, sinon, resteraient passablement contradictoires.
Si les rêves semblent plus associés au sommeil paradoxal, c’est pour la raison, toute simple, que cet état de vigilance fournit la mémoire et les mots nécessaires pour pouvoir les capturer plus facilement. Voilà tout.
Afin de tenter de contourner ce frein verbal — ainsi que mnésique (dans une certaine mesure) —, certains chercheurs ont, alors, invité des sujets à dessiner ou sculpter les rêves issus de leur sommeil orthodoxe. En encourageant un individu à utiliser un médium analogique (et non digital, comme le langage), la capture des rêves issus du sommeil non-REM allait-elle être facilitée ? Ou, pour le dire autrement, munie d’un lasso aux propriétés plus visuelles, mon allégorie coiffée d’un Stetson allait-elle être davantage en mesure d’attraper le rêve indigène dans les forêts denses du sommeil orthodoxe ?
La réponse est : oui, absolument !
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