L’ordre c’est l’être, le désordre le néant. L’ordre c’est la vie, le désordre la mort.
Et ce principe s’applique à tout l’univers ! Il répond à l’une des grandes lois de la physique, à savoir le fameux second principe de la thermodynamique : « dans l’univers, l’entropie (le degré de désordre) est toujours croissante ». Au fil du temps, tout, dans le cosmos, va de l’ordonné vers le désordonné, du complexe vers le simple, de l’énergétique vers l’inerte. Les soleils meurent, les planètes disparaissent ; les montagnes s’aplatissent, les vallées se comblent. Seul le vivant échappe à cette loi… le temps de sa brève existence. Le vivant créer son propre ordre, sa propre complexité, il s’auto-organise. Dans le domaine de la physico-chimie, les scientifiques parlent de néguentropie ou d’entropie négative (et d’autopoïèse, dans celui de la biologie). Pour les physiciens, une cellule vivante est « un petit peu d’ordre, dans le chaos ambiant » ! Une « structure dissipative », « loin de l’équilibre », une entité qui dépense énormément d’énergie pour pouvoir assurer le maintien de sa spécificité. Depuis Schrödinger, en 1944, la physique n’a pas donné meilleure définition du vivant.
Et pourquoi l’entropie est-elle toujours croissante dans l’univers ? me demanderez-vous. La réponse est des plus limpides. C’est qu’il n’existe qu’une seule place où un objet se trouve vraiment à sa place, et toutes les autres où il ne l’est pas ! Les objets ont donc infiniment plus de chances de se mettre en désordre qu’en ordre. Ceci est très bien expliqué, du reste, par Gregory Bateson, le grand anthropologue américain (auteur du tout premier modèle de thérapie familiale), dans Pourquoi les choses se mettent-elles en désordre ?, un petit sous-chapitre des célèbres Métalogues, le chapitre le plus connu de Vers une écologie de l’esprit, l’ouvrage-culte.
Maintenant, qu’en est-il sur la scène psychique ? Cette parenté avec le néant est, probablement, la raison principale — symbolique et affective — pour laquelle un désordre dans l’environnement proximal engendre, le plus souvent, une angoisse d’annihilation, de désagrégation, de morcellement (répondant à l’adage biblique : « Tu es né poussière, tu retourneras poussière »). Alors que l’ordre — qui est du côté de l’être — apporte, le plus souvent, sérénité et harmonie (il est gage de néguentropie, d’autopoïèse). Ainsi donc, faire de l’ordre autour de soi équivaut à lutter, activement, contre l’angoisse de mort (mère de toutes les angoisses)… Il s’agit, d’ailleurs, d’une des tactiques mentales anti-angoisse les plus simples à appliquer, et les moins onéreuses (en terme de torsion avec le réel et, par conséquent, de souffrance secondaire). Une fois l’ordre mis à l’extérieur de soi, celui-ci devient comme un miroir, permettant — par « identification spéculaire » (identification au miroir) — de mettre de l’ordre à l’intérieur de soi. Plus le désordre intérieur est important (plus l’individu se sent déstructuré, fragmenté, divisé), plus l’angoisse de mort sera grande… plus le besoin de faire de l’ordre à l’extérieur se fera ressentir.
Pour finir, de manière nettement plus prosaïque, l’être humain est un animal friand de culture (c’est même une affaire de gènes, le grand généticien français Axel Kahn l’affirme). Par nature, l’homme est donc sensible à l’esthétique, il a le goût du beau, il est amateur de composition, d’harmonie… d’ordre.