Si une personne dit souffrir de problèmes de comportement en raison de séquelles liées à un traumatisme psychologique, peut-on être sûr de sa sincérité ? Ou peut-on être certain, pour le moins, qu’elle n’aurait pas été atteinte de problèmes analogues, sans l’existence de ce supposé trauma ?
Bien sûr que non ! C’est une question très difficile. Cela fait d’ailleurs l’objet d’un domaine extrêmement complexe - critiqué et critiquable - celui de l’expertise psychologique.
A ce titre, vous vous souviendrez peut-être que, lors de l’affaire d’Outreau, en 2002, cette discipline avait, une fois de plus, défrayé la chronique. Contentons-nous simplement de rappeler le système de défense, ubuesque, d’un des expert-psychologues (ayant, lui aussi, validé la véracité des dires des enfants) : « Quand on paie des experts aux tarifs d’une femme de ménage, on a des expertises de femme de ménage » ! Laquelle expertise a permis de littéralement briser des parents, tout en privant des enfants de leurs parents durant une période de trois ans…
Le principal outil de l’expert est l’examen psychologique. Ce dernier comporte un entretien dirigé (l’anamnèse), une analyse de le relation nouée avec l’examinateur et, surtout, un large volet psychométrique : questionnaires, échelles, épreuves projectives, tests, etc. Le but du jeu est de définir au mieux la psychopathologie qui correspond aux plaintes alléguées par l’intéressé. Il s’agit, par surcroît, de cerner le plus précisément possible sa personnalité, en ce compris la dimension cognitive, affective, relationnelle, symbolique, etc. Tout cela en s’assurant, bien sûr, de sa sincérité…
Le problème de l’expertise est double.
D’abord, l’examen psychologique est, bien sûr, fortement influencé par la subjectivité de l’examinateur. Voilà qui est inévitable, puisque l’examinateur est, jusqu’à preuve du contraire, un être humain !
Ensuite - et surtout -, les résultats obtenus ne sont réellement pertinents (et donc, interprétables), que dans un cadre strictement clinique (c.-à-d., psychothérapique) ou de guidance (orientation scolaire, professionnelle, coaching, etc.). Autrement dit, au sein d’une relation d’aide, où les résultats ne sont utilisés que dans l’intérêt de l’examiné. Là où les résultats peuvent se retourner contre l’intérêt de l’examiné (situations de recrutement professionnel, de disculpation judiciaire, de demande de réparation, de demande d’obtention d’une pension pour incapacité ou invalidité d’ordre psychologique...), on est en droit de se poser de sérieuses questions quant au statut de ces résultats. Et, partant, quant au sens-même de l’expertise ! Dans un contexte à ce point connoté, à ce point grevé, comment peut-on être assuré de la sincérité de l’examiné ? Dans le meilleur des cas, ses réponses seront inconsciemment sous influence. Dans le pire, il simulera, purement et simplement !
Cela étant, voyons comment l’expert s’y prend, habituellement, pour authentifier une plainte de séquelles psychologiques liées à un psycho-trauma… et avaliser, de la sorte, une éventuelle demande de pension.
En premier lieu, il doit relever un tableau correspondant à un « Etat de stress post-traumatique » (selon la terminologie du DSM-IV-TR, la bible psychiatrique). En voici les principaux symptômes et signes : une reviviscence des scènes traumatiques (flashbacks post-traumatiques, cauchemars récurrents), l’évitement des situations évoquant lesdites scènes, une restriction du panel des émotions, de l’intérêt pour les choses, de l’engagement dans les diverses situations de vie, et une hyperactivité du système nerveux autonome (irritabilité, accès de colère, difficultés de concentration, hypervigilance, sursauts exagérés, sueurs profuses...).
Ensuite, le sommeil est, dans cette situation, le plus souvent blessé. Et il peut même l’être de manière relativement spécifique. A telle enseigne que l’étude de sommeil (polysomnographie, PSG) est un outil parfois bien utile pour étayer une expertise. Depuis la fin des années quatre-vingts, des études américaines ont en effet montré que l’association de certaines perturbations du sommeil pouvait être utilisée comme un marqueur, assez fiable, du stress post-traumatique. Voici la présentation classique du tableau général. Ce sont certainement les cauchemars récurrents (qui ne sont rien d’autres, dans le fond, que des flash-backs post-traumatiques - la marque du trauma - à expression morphéique) qui blessent le plus profondément le sommeil. Par ailleurs, ces cauchemars ont le plus souvent lieu en sommeil léger - et non pas en sommeil paradoxal (comme ce devrait être le cas). Aussi, les muscles sont tendus en sommeil paradoxal (alors que le relâchement est la règle), le sommeil paradoxal est trop fréquent, trop long, trop dense, trop précoce et trop fragmenté. A cela s’ajoutent également d’autres signes, moins spécifiques : insomnie de début et de milieu de nuit, hyperventilation nocturne, etc.
L’expert doit encore vérifier une série de points. S’assurer, d’abord, évidemment, que les symptômes allégués, ainsi que les signes relevés, n’existaient pas avant le trauma. Confirmer, ensuite, que la personnalité du plaignant est « normale »… Si elle devait s’avérer « pathologique », « la partie adverse » contestera l’importance relative de l’événement traumatique. Sur un terrain « aussi fragile », n’importe quel stress psycho-social bénin aurait tout aussi bien pu faire l’affaire !
Et pour finir, l’expert aura, bien sûr, comme mission, de vérifier que le plaignant n’est pas un vil simulateur !
Non, décidément, la tâche d’un expert n’est pas simple…