Il faudra finalement attendre 1953, l’année de la découverte de la structure en double hélice de l’ADN, par Crick et Watson, ainsi que de la mise au point du vaccin contre la polio, par Salk, pour voir corrigées, en un seul et même modèle, les deux principales erreurs commises par les pionniers de la somnologie neurobiologique.
Et cette avancée décisive découlera, en ligne directe, de la découverte, à Chicago, d’un nouveau stade de sommeil (qui sera bientôt promu au rang d’état de vigilance) : le REM sleep (Rapid Eye Movement sleep), autrement dit, le sommeil MOR (sommeil à Mouvement Oculaire Rapide [au singulier, s’il vous plait]), par Eugene Aserinsky, psychologue de son état, et Nathaniel Kleitman — son boss —, physiologiste et Moïse indétrôné de la recherche sur le sommeil.
La découverte du REM va permettre de démontrer, tout à la fois, que le sommeil résulte bel et bien d’un processus neurologiquement actif (un générateur de sommeil s’active au moment même¹ où le générateur d’éveil se désactive), et que les générateurs d’éveil et de sommeil (REM, comme non-REM) se situent, tous deux, dans le tronc cérébral²… les états de vigilance étant ainsi placés sous l’empire de structures neurologiques sises sous le cerveau !
En 1957, l’équipe de Chicago, renforcée par l’arrivée, déterminante, de William Dement — un jeune étudiant en psychiatre heureusement plus intéressé par les rêves que ses deux aînés —, démontre qu’un sujet réveillé en sommeil REM se souvient presque toujours d’un rêve (dans 80% à 90% des cas), et est en mesure de le raconter. Ce qui n’est absolument pas le cas lorsque le réveil se produit en sommeil non-REM. L’onirologie venait de faire une entrée fracassante sur la scène de la somnologie.
Pour beaucoup, le sommeil REM, fraîchement découvert, devint, par conséquent, le « sommeil à rêves ». Terminologie qui restera en vigueur jusqu’au début des années 1990. Ce n’est qu’à l’approche du IIIe millénaire, en effet, que le discours somnologique-onirologique va devenir de plus en plus circonspect sur la question de la supposée équivalence rêves/REM.
Quoi qu’il en soit, et ce par le truchement de la double correction, la découverte du sommeil REM va entrainer, avec elle, non seulement la naissance de la somnologie moderne (en 1953), mais également celle de l’onirologie moderne (en 1957)... deux disciplines qui resteront largement confondues pendant plusieurs décennies.
Cela fait donc à peine trois quarts de siècle que l’on modélise, vraiment, en s’appuyant sur des données scientifiques solides, ce comportement étrange, principalement nocturne, qui occupe, et préoccupe, tant les êtres humains, que l’on nomme sommeil.
Et pour le rêve, c’est la même chose.
L’évolution technologique a, bien sûr, joué un rôle fondamental dans ce développement salutaire.
Tout comme les trois astronautes de la mission Apollo 8 (Franck Borman, James Lovell et William Anders), qui, en décembre 1968, furent les premiers êtres humains à pouvoir contempler la face cachée de la lune³ (et ce à dix reprises, puisqu’ils parcoururent dix orbites), les somnologues sont progressivement parvenus à lever le voile sur la face cachée de notre existence ! Et ceci, à l’instar des astronautes, grâce à l’utilisation de nouveaux outils d’exploration (et à l’utilisation innovante d’outils d’exploration plus anciens), tels que l’électroencéphalographie corticale et sous-corticale (EEG), l’électrooculographie (EOG), l’électromyographie (EMG), les potentiels évoqués… auxquels s’ajoutèrent, ultérieurement, la polygraphie de sommeil (PG), la polysomnographie (PSG), la neuro-imagerie fonctionnelle (IRMf), l’électroencéphalographie à haute densité, la magnétoencéphalographie (MEG), etc.
¹Nous savons, aujourd’hui, que ces bascules (switch) d’états de vigilance ne se produisent pas simultanément dans tout le cerveau, comme on le pensait jadis. Les aires sous-corticales, par exemple, s’endorment avant les aires corticales (et se réveillent après), l’hippocampe étant la toute première structure sous-corticale à s’endormir (plusieurs dizaines de minutes avant les premières aires corticales). C’est la notion de « sommeil local » qui s’est imposée depuis quelques années (elle intervient dans la compréhension de divers phénomènes : les micro-sommeils, la narcolepsie, la diminution cyclique des performances au cours du nycthémère, les accidents liés à l’hypovigilance, etc). En outre, ces bascules d’états ne se produisent pas sur un mode du tout ou rien (on/off), mais bien de manière graduelle.
²Des arguments récents tendent à montrer que le primo-déclenchement du REM pourrait bien avoir lieu dans l’hypothalamus, en définitive, c’est-à-dire dans le cerveau !
³De leurs propres yeux, s’entend, puisque les premiers clichés dataient de 1959 (ils avaient été transmis par la sonde soviétique Luna 3).