Chronique d’avril 2023 La confusion des états (Muse ou pas muse ?, partie 4)

Si l’honnête homme d’aujourd’hui continue à croire en un onirisme directement inspirant, c’est que la culture ambiante s’y entend pour entretenir ce mythe.


Il suffit, pour s’en convaincre, de jeter un coup d’œil aux catalogues accompagnant les nombreuses expositions de peinture consacrées au rêve ces dernières années (Giorgio de Chirico – La fabrique des rêves [Musée d’Art moderne de la Ville de Paris, Paris, 2009], La Renaissance et le rêve [Musée du Luxembourg, Paris, 2013-2014], Le Rêve [Musée Cantini, Marseille, 2016-2017]... pour ne citer que celles que j’ai eu l’occasion de visiter moi-même). En ce qui concerne l’amalgame vigilance/conscience (que l’on retrouve jusque dans la définition du mot rêverie donnée par Wikipédia), par exemple, le catalogue de l’exposition marseillaise est très révélateur : « Le cerveau humain subit l’alternance de trois états : éveil [état de vigilance], sommeil [état de vigilance] et rêve [état de conscience] ». Quant aux essais, ils font rarement mieux : nombre d’entre eux continuent à valider la théorie du rêve comme source d’inspiration. Une contre-vérité parmi mille, repérée sous la plume de Christiane Riedel, onirocrite jungienne : « On pourrait presque dire que les musiciens et les peintres sont inspirés par leurs rêves, qui sont source de leur créativité et de leur invention », Rêves à vivre, 1998. Symptomatique.

Le surréalisme, mouvement artistique né dans les années 1920 (en réaction aux horreurs de la guerre), toujours très populaire aujourd’hui — tout particulièrement en Belgique, « terre de surréalisme » —, a largement contribué à propager des idées confuses quant à la vigilance, la conscience, le rêve et la création. En 1923, déjà, André Breton déclarait que : « La pierre angulaire de l’aventure surréaliste consiste à passer de l’état vigile [état de vigilance] à celui du rêve [état de conscience] », et aussi que : « L’éveil et le sommeil sont interpénétrés » ! Pour nourrir sa doctrine, il s’était basé sur une série de notions « psys » en vogue à son époque : magnétisme animal et états hypnotiques (Franz-Anton Mesmer, Jean-Martin Charcot et Hyppolyte Bernheim), automatismes et états seconds (Pierre Janet), processus primaires de l’Inconscient (Sigmund Freud)… Joyeux salmigondis dont l’office était de prouver la source onirique, et donc morphéique, des œuvres surréalistes... alors que celles-ci procédaient, dans leur grande majorité, d’états modifiés de conscience obtenus à l’éveil.


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