Dans ses deux récents ouvrages (« Le crépuscule d’une idole - l’affabulation freudienne » et « Apostille au Crépuscule - pour une psychanalyse non freudienne »), Michel Onfray, brillant philosophe péchant néanmoins souvent par excès, procède à l’exécution pure et simple de Freud et de son œuvre, la psychanalyse. Eblouissante démystification, riche de conséquences, ou règlement de compte onaniste ?
Les sources concernant la vie de Freud ainsi que le processus d’élaboration de la psychanalyse furent longtemps assez limitées. On devait se contenter des propres confidences de l’intéressé, de l’hagiographie de Jones, de la biographie laudative de Mannoni…
Puis, enfin, il y eut du neuf.
Freud a écrit près de trente mille lettres ! Ses correspondants furent eux-mêmes pour la plupart des personnalités de la psychanalyse. Parmi ceux-ci, on retrouve Marie Bonaparte, Sandor Ferenczi, Karl Abraham, Lou Andreas-Salomé, Ludwig Binswanger, Georg Groddeck, Carl Gustav Jung, Stefan Zweig… et Wilhelm Fliess bien sûr ; ORL de son état, l’ami le plus cher. Les copies de ces lettres - lorsqu’elles existaient - furent léguées par Freud à Anna, sa fille. Cette dernière hérita également de plusieurs séries de lettres originales restituées par les descendants des destinataires. Anna confia à son tour toute la correspondance à la bibliothèque du Congrès à Washington.
Mais Freud avait pris soin de charger sa fille d’entretenir la légende… Aussi, une partie seulement fut ouverte au public. Certaines lettres furent interdites à la lecture jusqu’en 1990 et d’autres jusqu’en 2004 (le courrier à Fliess). Certaines le seront jusqu’en 2102 (le courrier à Martha, sa femme, à Anna et à Minna, sa belle-sœur - et maîtresse) et d’autres encore jusqu’en 2113 ! Par conséquent, nombreux sont les ouvrages qui, depuis les années nonante, nous ont abreuvé des révélations les plus fracassantes sur le grand homme. Certains furent très marquants, comme « Le Freud inconnu - l’invention de la psychanalyse » de Richard Webster (1995) ou « Le livre noir de la psychanalyse » sous la direction de Catherine Meyer (2005).
En plus de ces divulgations, s’ajoute l’ouverture des dossiers médicaux de certains ex-patients de Freud, prétendument « guéris » ; mais ayant néanmoins séjourné par la suite dans diverses institutions asilaires.
Et puis, il y a la relecture des cas cliniques de Freud à l’aune de la neurologie moderne. Nombre de ses patients, diagnostiqués par lui comme névrotiques - avec les outils de l’époque bien sûr - s’avèrent en réalité avoir souffert de troubles strictement neurologiques.
De tout cet apport, Freud - on s’en doute - ne sort pas grandi.
On apprend ainsi que, dès le début, il accommode la réalité afin de récolter les lauriers de la gloire. Il faut savoir que depuis toujours, son rêve grandiose, instillé par sa mère (dont il était le « petit Siegi en or »), était de devenir un génie, l’égal de Moïse. Partant, dans un article de 1885, il chante les vertus analgésiques de la cocaïne, découvertes par lui, sans dire un mot du risque de dépendance, dont il était pourtant bien conscient. Son ami Fleishl-Marxow, à qui il en avait prescrit, avait en effet déjà développé une épouvantable addiction. La réputation de Freud sera d’ailleurs sauvée in extremis grâce à l’intervention providentielle de Carl Koller, un ophtalmologue qui lui pique sa trouvaille et revendique à sa place la découverte des propriétés miraculeuses de la précieuse substance !
Par la suite, à Paris, Freud va reprendre à son compte les erreurs commises par l’immense Charcot, le « Napoléon de l’hystérie ». La grande hystérie de conversion (avec convulsions, paralysies et insensibilités), le fond de commerce de Charcot (6000 « hystériques » étaient prisonnières à la Salpêtrière !) - qui deviendra bientôt celui de Freud - était en réalité, le plus souvent, de l’épilepsie partielle, conséquence de la syphilis !
Une fois rentré à Vienne, Freud, dans la foulée de son aîné Breuer, va se mettre à tricher au sujet d’Anna O. (Bertha Pappenheim), la patiente que le maître avait confiée à l’élève. Contrairement à ce qu’ils ont tous deux affirmé, elle ne fut en effet jamais guérie par leurs soins conjugués. Pas plus qu’elle ne fut hystérique d’ailleurs (elle souffrait en fait d’une neuropathie).
La « talking cure », la technique thérapeutique découverte par Breuer (qui lui fut en réalité imposée par Bertha elle-même, ce qu’elle appelait sa catharsis par le « ramonage de cheminée ») - que Freud a par la suite recyclée sous le nom de psychanalyse - tire donc son origine d’une tricherie.
Mêmes erreurs avec sa première patiente en solo, Fanny Moser (Emmy Von N. qui, incidemment, lui enseignera la technique de l’association libre et l’usage du divan, en lieu et place de l’hypnose), qui ne fut ni guérie ni hystérique : elle souffrait en réalité d’un syndrome de Gilles de la Tourette…
Les « Etudes sur l’hystérie » (l’ouvrage inaugural de la psychanalyse, paru en 1895) reposent donc sur de faux diagnostics, de fausses guérisons et sur ce que Freud a disons « emprunté » à Charcot, à Breuer et, in fine, à ses patientes !
Par ailleurs, depuis les études débutées en 1990 sur le phénomène d’implantation de faux souvenirs (par les thérapeutes), on sait aujourd’hui que la thèse freudienne de l’abus sexuel infantile comme cause unique des névroses - baptisée théorie de la séduction - résulte en fait d’une suggestion faite (involontairement) par Freud à ses patientes. Et si Freud passa finalement à la théorie du fantasme (l’abus n’aurait été finalement qu’imaginé), c’était plus pour échapper aux poursuites engagées pour diffamation, par les pères et oncles accusés, que par le fait d’une évolution intrinsèque de sa pensée !
Enfin, le Complexe d’Œdipe, clé de voûte de tout l’édifice analytique, résulte en réalité de l’auto-analyse d’un pseudo-souvenir. Agé de 2½ ans, dans un train de nuit, Freud aurait éprouvé une excitation sexuelle (et une jalousie consécutive vis-à-vis de son père) en voyant sa mère nue. En réalité, il s’avère qu’il ne se souvenait que du voyage en train. Le reste fut inventé pour servir la cause du modèle.
Tout ça est bien beau, mais attention !
Une chose est de mettre à jour les biais méthodologiques d’une recherche ; les erreurs et/ou les fraudes qui autorisent la pseudo-validation scientifique d’une théorie. Une autre est de jeter le discrédit sur cette même théorie. Un chercheur (et Freud se décrivait comme tel) peut très bien avoir formulé une théorie juste, sans avoir été capable d’en apporter les preuves scientifiques. Ce qui a pu alors ensuite le pousser à tricher…
Et c’est un état de fait que, lorsqu’il s’agit de psychologie intrapsychique, c’est encore et toujours le modèle freudien (la Métapsychologie), enrichi par des générations d’analystes (le modèle ainsi modernisé porte alors le nom de Psychologie dynamique - ou Psychodynamique) qui prévaut et est enseigné dans la plupart des universités. Il reste le modèle de référence, celui auquel on se confronte, lorsqu’on veut comprendre quelque chose à la vie psychique, à la vie mentale, et aux liens qu’entretiennent ces dernières avec la psychopathologie.
Au total, avec actuellement 115 ans de recul, ce qui est finalement le plus extraordinaire dans toute cette histoire, c’est que, malgré ses nombreuses erreurs (dont on ne peut généralement le tenir pour comptable), mais aussi ses impostures et falsifications, Freud, fort d’une étonnante intuition, soit parvenu à bâtir une théorie de l’esprit qui fasse encore autorité aujourd’hui. Une théorie qui continue à ensemencer l’intelligence d’innombrables penseurs et chercheurs en sciences humaines, et reste à ce jour le modèle psychologique de l’âme le plus abouti et le plus fertile. Notons en outre que, sur le plan thérapeutique, la cure analytique convient manifestement toujours à certains, de nombreux témoignages continuent à en attester…
Pour répondre à la question de départ, donc : deux constats.
Tout d’abord, on voit bien qu’Onfray est largement arrivé après la bataille, et on a peine à comprendre par conséquent le ramdam qu’il est parvenu à susciter.
Ensuite, sa rage à l’encontre de Freud et la psychanalyse, irrationnelle (et probablement vengeresse), a fini par l’aveugler sur le réel intérêt que présente et la théorie et - dans certains cas du moins - la cure.