La peur cela n’est rien, la peur la belle affaire, mais l’angoisse… ô l’angoisse ! (pour paraphraser Brel dans « Vieillir »).
A la racine de toute angoisse, il y a l’angoisse de mort. Qu’il s’agisse de la sienne ou de celle de ceux à qui l’on tient, qu’elle soit réelle ou symbolique. L’angoisse de mort est inévitable, elle est intrinsèque à la vie humaine. Et ce dès la naissance (plus précisément dès la découverte du besoin). Cela signifie également que l’angoisse vient de l’intérieur, elle ne trouve pas son origine dans l’environnement (dans l’éducation). Par ailleurs, dans le phénomène d’angoisse, il y a disparition des représentations mentales : on est angoissé. Point à la ligne. On ressent l’angoisse, l’objet de l’angoisse restant inconscient. A l’inverse, dans le phénomène de peur, il existe toujours des représentations mentales : on a peur de quelque chose.
En réalité, la peur est le plus souvent déjà le résultat d’un traitement de l’angoisse. Elle se forme, par épigenèse, sur l’angoisse. Puisqu’elle n’est liée à aucune représentation mentale, l’angoisse est débordante, dévastatrice, rien ne peut la contenir. Contre l’angoisse, il n’y a rien à faire. Parvenir à arrimer l’angoisse à un objet, créer ainsi une peur (voire une phobie), revient à réduire la souffrance, grâce à la mise en place d’une contention mentale. Voilà pourquoi il vaut mieux ne pas essayer systématiquement d’enlever leurs peurs aux enfants. Cela équivaut en fait à leur retirer un outil précieux, une arme contre l’angoisse. Bien au contraire, il est généralement préférable de leur livrer des objets phobiques, tout en les dotant bien sûr d’objets contra-phobiques super-puissants ! Les contes (à trembler de peur) qu’on lit traditionnellement aux enfants au moment du coucher - dans le but précis de les rasséréner avant l’endormissement ! - ne sont d’ailleurs rien d’autre que des mises en scène phobiques et contra-phobiques de l’angoisse. Cette dernière étant particulièrement activée par la perspective du sommeil (séparation d’avec les parents, position couchée, immobilité, perte de contrôle, obscurité…) – ce n’est pas pour rien que, dans la mythologie grecque, Hypnos (dieu du sommeil) est le frère jumeau de Thanatos (dieu de la mort). Notons que la constitution de l’objet contra-phobique nécessite habituellement un recours à la pensée magique. Dans « Le Petit Chaperon Rouge », par exemple, la grand-mère et la petite-fille, toutes deux dévorées par le loup, ressortent - vivantes - par l’ouverture pratiquée dans le ventre de l’animal par le chasseur !
Cessons donc d’avoir peur des peurs de nos enfants. Oui mon fils, oui ma fille, tu as peur du noir (tu t’es fabriqué cette peur pour gérer ton angoisse), et tu as bien raison. C’est la marque de ta santé mentale, et non le signe d’une quelconque immaturité. Je ne vais dès lors pas essayer de t’ôter cette peur. Mais on va par contre réfléchir, ensemble, à la constitution d’un objet contra-phobique. Peut-être sera-ce une veilleuse, de la lumière dans le couloir, ou encore une lampe de poche à garder sous la main…