Chronique de février 2021 Âmes baladeuses

Au VIe siècle av. J.-C. apparaît l’orphisme, un mouvement religieux dérivé du mythe d’Orphée.


Ce héros — fils de Calliope (muse de la poésie) et inventeur présumé du sitar — était descendu aux Enfers afin d’y récupérer Eurydice, son épouse bien-aimée, tuée par un serpent, le jour même de leur mariage !

Et si pas son corps, du moins son âme… car l’orphisme — comme le bouddhisme, à la même époque — est une doctrine du salut selon laquelle l’âme est condamnée à vivre un cycle de réincarnations (dont seul l’accomplissement d’une série de tâches peut la libérer).

La notion de séparabilité du corps et de l’esprit était donc née. Ce qui allait entraîner, au fil des siècles, une véritable révolution de la pensée (révolution dite « épistémique »). La dualité corps/esprit (corps et esprit forment les deux pôles d’une même entité) faisait donc place au dualisme corps/esprit (corps et esprit constituent deux entités distinctes). Et le débat est loin d’être clos. Aujourd’hui encore, dans la galaxie des neurosciences (en psychologie cognitive, notamment), à la fine pointe de la recherche, la bataille fait toujours rage entre les « pro-dualité » et les « pro-dualisme », alimentant la fameuse controverse cerveau/esprit (brain/mind controversy).

Cette notion de séparabilité allait également entraîner un bouleversement dans la manière de conceptualiser le rêve.

L’oniromythe nouveau était le suivant : profitant du sommeil, corps et esprit se séparent (tel qu’ils le feront, de manière définitive, après la mort). Alors que le corps prend un repos bien mérité, l’âme en profite pour se faire la belle. Le chat dort, les souris dansent. L’âme quitte son enveloppe charnelle, s’envole dans l’éther et s’en va vagabonder de par le vaste monde (les vastes mondes, pour être plus exact)… Les rêves dont le dormeur se souvient (éventuellement) au moment du réveil sont, en quelque sorte, les films que l’âme rapporte dans ses valises, témoignages de ses pérégrinations. Un peu comme les films qui sont présentés par les globe-trotters d’Exploration du Monde, le cycle de « films en conférence » bien connu en Belgique.

Dans les modèles antérieurs (biblique, par exemple), le rêve témoignait d’une visite rendue au dormeur par la transcendance. Le modèle nouveau marque donc un renversement : c’est le dormeur qui rend désormais visite à la transcendance.

Au IVe siècle av. J.-C., Platon va reprendre et développer cette théorie sous le nom de « vacance de l’âme ». Théorie reprise, à son tour, à la Renaissance, par le philosophe Marsile Ficin, dans sa Théologie platonicienne de l’immortalité des âmes [1482]¹ : à la faveur du sommeil, l’âme se libère temporairement de la matière, l’individu est « dépossédé », il perd, transitoirement, la raison… ce qui se traduit par l’apparition des rêves.


¹Ficin y décrit sept types de vacance de l’âme : le sommeil, l’évanouissement, l’humeur mélancolique, l’équilibre de la complexion, la solitude, l’admiration et la chasteté.


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