Les états modifiés de conscience : voilà donc nommée la seule et unique muse.
Une personne prise d’une poussée subite de créativité¹ ou de création² est une personne sujette à une rêverie (un rêve éveillé, une pensées flottante qui cesse, pour un temps, de se briser sur les récifs du réel), un trip, une aventure intérieure, un état second, un « délire », un état hypomaniaque, une ivresse, une transe, un état hypnotique, un état sophro-liminal, une méditation, une hallucination hypnagogique, une hallucination hypnopompique… mais de sommeil point, et de rêve encore moins.
Incidemment, et contrairement aux apparences, rien de tout cela ne contredit la thèse relative aux peintures de Néandertal et Cro-Magnon, « inspirées » par leurs rêves ! Tout dépend, bien sûr, de ce que l’on entend par « inspiration ». En l’occurrence, les songes préhistoriques n’ont jamais eu la prétention d’être source ni de créativité ni de création. Ils eurent pour seul office de mettre en scène des récits autobiographiques, strictement fidèles à la réalité, servant la cause de la mentalisation morphéique, c’est-à-dire le traitement mental des souffrances psychiques au cours du sommeil. Et leur matérialisation symbolique, sous forme de peintures, puis leur partage avec autrui, consistait simplement à poursuivre cette dynamique de l’auto-traitement à l’éveil. L’imagination, l’originalité, les procédés de représentation, le choix du point de vue, de la composition, des couleurs, du médium... la dimension artistique, en somme, restant du seul ressort de l’éveil, et des états de conscience, plus ou moins modifiés, autorisés par celui-ci.
¹La créativité est le processus mental qui permet à un individu de trouver une solution originale (statistiquement rare) à un problème posé en combinant des éléments préexistants empruntés à des champs hétérogènes de la connaissance (la célèbre « bissociation », proposée par Arthur Koestler). L’invention du Compact Disc (CD) — un mix de la carte à jouer, du carton perforé pour orgue de barbarie et du rayon laser — en est un parfait exemple. Notons que le rêve est lui-même le résultat d’un processus créatif, d’une bissociation entre des éléments hétérogènes préexistants dans le mémoire du rêveur (« On ne tombe pas hors du monde lorsque l’on rêve », Sigmund Freud, « Tout rêve est un « mémorêve » », Guy Maruani).
²À l’inverse, la création est le processus mental qui conduit un individu à faire surgir une œuvre ex nihilo (c’est-à-dire à partir de rien), tel un démiurge ! C’est là, du moins, la définition théorique… en pratique, c’est d’« innutrition » dont il est le plus souvent question : une inspiration puisée inconsciemment dans la culture ambiante. La notion, plus moderne, de « cryptomnésie » (de laquelle peut découler celle de « plagiat involontaire ») s’en approche. George Harrison, par exemple, fut reconnu coupable de « plagiat involontaire » pour son tube My Sweet Lord (et une déception de plus !) A contrario, Paul McCartney a craint, plusieurs semaines durant, que la mélodie de Yesterday lui avait été soufflée par cryptomnésie… alors qu’il en était bien, lui, le compositeur original !
(N.B. : le tableau ci-dessus représente Héméra, déesse grecque de la lumière terrestre, du jour... et donc de l’éveil).