Chronique de décembre 2010 Du grain de sable à la perle

La faculté de rebondir, popularisée par Boris Cyrulnik sous l’appellation contrôlée de « résilience », existe virtuellement chez tout homme.


La résilience est un terme issu de la physique. Il signifie la capacité d’un corps à résister à un choc. Transposée aux sciences sociales, cette notion désigne l’aptitude à se développer malgré l’adversité. Voire même, comme l’huître transforme en perle le grain de sable qui la menace, l’aptitude à métamorphoser l’adversité en opportunité !

La résilience n’est point liée à une quelconque appartenance culturelle. Mais elle exige par contre la présence d’un « tuteur de développement ». Tout traumatisé a besoin, pour résilier, de quelqu’un qui sera spectateur de ses productions (qui racontent son trauma) : récits, dessins, tableaux, livres, pièces de théâtre, militantisme... La résilience suppose par ailleurs un large éventail défensif. Coûteux, mais efficace. Certaines défenses psychologiques peuvent être très lourdes, quasiment psychotiques, tel le clivage du moi ou le déni de la réalité. D’autres au contraire ne font qu’enrichir la personnalité : capacité à rêver, art, humour, intellectualisation, altruisme… La capacité à rêver, par exemple, peut être une formidable arme de survie. Lors de la seconde guerre mondiale, de nombreux soldats américains furent faits prisonniers par les Japonais sur des îles du Pacifique. Les premiers à périr du fait des mauvais traitements furent les vigoureux joueurs de football  ; alors que les survivants les plus résistants se révélèrent être les malingres poètes… ceux qui avaient pu se réfugier dans leur monde intérieur !

Mais la résilience apporte également son lot de souffrances. Le survivant se sent souvent coupable (du fait d’avoir survécu). Il devient fréquemment mégalomane (du fait d’avoir survécu). Et il s’adonne par conséquent volontiers à ce que la psychologie appelle aujourd’hui « l’ordalie », épreuve où il se met en danger (pour pouvoir continuer à survivre). Il est en outre fréquemment colérique, surmené et il a souvent du mal à s’engager dans une relation amoureuse (ainsi qu’à s’en dégager, du reste).

Quid de la transmission de la capacité à résilier, lorsque le trauma n’est pas digéré en une génération (comme c’est le cas pour les massacres et les génocides, par exemple) ? Elle semble être nettement moins bonne que la transmission du trauma lui-même… Cette dernière ne s’effectue pas à travers ce qui se dit d’une génération à l’autre, mais bien à travers ce qui ne se dit pas ! C’est le secret qui est transmis. Et, dans les familles, tout secret est de polichinelle. Ce qui ne peut être dit passe par l’intermédiaire du « para-dit » (la communication non verbale). Les parents ont reçu un coup réel, les enfants seront dans l’obligation d’affronter son fantôme, un stress sans visage. Selon une étude de 1995 (R. Yehuda), les enfants de survivants de génocides souffriraient trois fois plus de syndrome de stress post-traumatique que leurs parents (sur base des taux de cortisol - hormone du stress - dans l’urine) ! Le descendant se sent souvent épuisé, angoissé, constamment en alerte, sans savoir pourquoi. Pour lui la vie n’a pas de prix, et il sur-protège dès lors tout ceux qu’il aime.

Aujourd’hui, on admet généralement qu’il faut quatre ou cinq générations pour digérer complètement un trauma global (de type massacre ou génocide). La première est celle de la coupure et de la résilience ; la seconde est celle du silence ; la troisième est celle de la parole ; la quatrième et la cinquième, celles de la reliance…


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