Parmi les nombreuses excentricités du sommeil paradoxal (REM) — lequel est paradoxal à plus d’un titre —, il en est une des plus cocasses : tout comme les TV d’aujourd’hui peuvent être HD Ready, le dormeur est, au cours de son REM, COÏT Ready ! Le troisième état de vigilance ne laisse personne indifférent : il provoque l’érection du pénis (la « tumescence pénienne nocturne ») chez l’homme, la tuméfaction du clitoris, des lèvres vaginales et des mamelons chez la femme, sans oublier la sécrétion de cyprine (le lubrifiant vaginal).
Au lever, ce n’est certes un scoop pour personne, de nombreux hommes arborent fièrement une triomphale turgescence sous le pubis. C’est que le réveil matinal s’est produit au cours du dernier épisode de sommeil paradoxal, tout simplement ; ce qui est très fréquent. Mais ces mêmes hommes seraient probablement étonnés d’apprendre qu’ils ont, alors, déjà passé environ une heure et demie de leur temps de sommeil en érection (au cours des quatre à six épisodes de REM que contient une nuit complète) ! À l’abri de son cocon morphéique, tout homme est un Priape qui s’ignore…
Mais gare aux contresens : cet état d’excitation génitale n’est d’aucune manière associé à une excitation sexuelle (au sens mental du terme), et encore moins à une activité onirique érotique (laquelle s’avère, d’ailleurs — et c’est bien regrettable —, très rare : les rêves érotiques ne représentent que 2 % des rêves chez les hommes, et 0,5 % chez les femmes) !
Pourquoi cet état d’excitation existe-t-il ? Nous n’en savons, fichtre, rien ! Du reste, la science n’est pas conçue pour répondre à la question Pourquoi ?.
En ce qui concerne la question Comment ?, en revanche, la neurophysiologie nous apprend que la tumescence pénienne (ou clitoridienne) nocturne est consécutive à la domination — spécifique au REM — du système nerveux autonome orthosympathique par le système nerveux autonome parasympathique. La sécrétion de noradrénaline (un neurotransmetteur à l’effet inhibiteur sur l’érection) est donc stoppée, à la faveur de la sécrétion d’acétylcholine (un neurotransmetteur favorable à la libération de la testostérone). En outre, l’érection nocturne pourrait être favorisée par la pression vésicale. Et puisque, d’une part, la sécrétion de testostérone est maximale entre 6 et 8 heures du matin, et que, d’autre part, la pression vésicale atteint son acrophase aux mêmes heures, les érections matinales sont, par conséquent, les tumescences péniennes nocturnes les plus fortes.
Quant à la question Pour quoi ? (Pour quoi faire ?), la pression vésicale pourrait bien offrir un embryon de réponse. En effet, l’érection nocturne, et son renforcement par une vessie de plus en plus remplie, pourrait favoriser une inhibition de la miction, en seconde partie de nuit surtout… contribuant, de la sorte, à réduire le risque d’énurésie nocturne.
Cette activation génitale morphéique offre, en outre, un bénéfice secondaire inattendu aux… urologues ! Surtout lorsque ces derniers se demandent si le trouble érectile allégué par le patient qui les consulte est plutôt d’ordre physiologique ou psychologique. Il arrive, alors, qu’ils envoient ledit patient faire un petit tour du côté du laboratoire de sommeil (ils le font moins, toutefois, depuis la popularisation des médicaments à base de Sildénafil).
Grâce à la pléthysmographie pénienne (une mesure obtenue à l’aide d’une sonde annulaire enfilée autour du pénis), enregistrée en parallèle à la polysomnographie standard (l’étude de sommeil), il est possible, en effet, d’évaluer la fréquence, la durée et la qualité des érections qui se produisent au cours des épisodes de REM. En cas de piètres résultats, c’est la piste physiologique qui sera retenue (puisque même hors de tout contexte relationnel, affectif et symbolique, la tumescence réflexe dysfonctionne). En revanche, si bons résultats il y a, c’est la piste psychologique qui sera, alors, suivie (puisque hors de tout contexte relationnel, affectif et symbolique, l’érection réflexe est préservée). Le traitement envisagé sera, bien évidemment, fort différent.
Et pour finir, encore plus inattendu : les juges se montent, parfois, eux aussi, très intéressés par la pléthysmographie pénienne ! Surtout lorsqu’ils ont pour mission de juger un homme accusé de viol avec pénétration qui, à titre de défense, plaide l’impuissance. Une simple nuit passée à l’unité de sommeil est susceptible, alors, de lever le doute. Une absence totale d’érection en REM innocente, en effet, l’accusé, avec un taux de fiabilité quasi total (puisqu’aucune pénétration n’est, dès lors, possible). À l’inverse, la présence d’érection en REM n’accable pas l’intéressé, pour autant : ce dernier pourrait très bien souffrir d’une impuissance psychogène, lui interdisant, pareillement, toute possibilité de pénétration… Ainsi donc, seul le résultat positif est significatif. Et dans un contexte judicaire, une extrême prudence est de mise : il faut éviter à tout prix de générer de faux positifs.