Reprenons le récit du film Total Recall, modèle de constructivisme, tel qu’il se présente aux spectateurs, c.-à-d. à rebours, en commençant par le niveau de rêve n° 2.
Ce qui va s’avérer être une formidable quête d’identité commence donc avec Quaid.
Pour lui, comme pour nous, le niveau de rêve n° 2 est pris pour la réalité. Nous apprenons d’emblée que, nuit après nuit, le sommeil de Quaid est la cible d’un cauchemar récurrent qui se déroule sur Mars et s’achève, immanquablement, par la mort de l’intéressé… Il s’agit, bien sûr, des pseudosouvenirs relatifs à l’identité fictive de Brubacker — la poupée russe qui se trouve juste en dessous —, qui, à la faveur du sommeil, affleurent à la surface de la conscience. Le niveau de rêve n° 1 (Brubaker) est donc pris, par Quaid comme par nous, pour de simples cauchemars. Dans l’espoir d’y mettre un terme, Quaid se rend, ironie du sort, auprès d’une antenne terrestre de la société Rekall.
Les événements qui se succèdent à partir de là finissent par conduire Quaid à penser que sa véritable identité est celle de Brubaker. Le niveau de rêve n° 2 (Quaid) est donc pris, tant par Quaid que par nous, pour un niveau de rêve n° 1… l’authentique niveau de rêve n° 1 (Brubacker) étant pris pour la réalité. La stratégie des poupées russes fonctionne à merveille : Brubaker endort la méfiance des rebelles et est conduit auprès de Kuato, leur chef. Fort heureusement pour la rébellion, juste avant d’être exécuté par Brubaker, Kuato a le temps d’extraire le fameux secret enfoui au fond de la crypte mémorielle de son assassin… et le lui révèle. Peu après, Cohaagen apprend à Brubaker que sa deuxième identité est tout aussi fausse que la première ; sa véritable identité n’est autre que celle du sinistre Hauser, vil complice du tyran.
Afin de redevenir lui-même, il doit s’installer, pour la troisième fois, dans un fauteuil Rekall. Ce qu’il fait... mais, s’en arrachant subitement, au prix d’efforts surhumains, Hauser décide de rejeter Hauser, et de demeurer définitivement Brubaker ! Usant de son libre arbitre, il choisit donc le rêve (qui équivaut, ici, au « bien »), plutôt que la réalité (qui est l’incarnation du « mal »).
En d’autres termes, la réalité (Hauser) est délibérément prise pour un mauvais rêve, et, inversement, le niveau de rêve n° 1 (Brubacker) est délibérément pris pour la réalité. La matriochka extérieure (Quaid) est évacuée, au profit de la matriochka intermédiaire (Brubaker), laquelle devient, à son tour, la matriochka extérieure… tout en continuant à abriter la matriochka intérieure (Hauser) au sein d’une crypte mémorielle dont seuls des cauchemars pourront, éventuellement, s’échapper (comme c’était le cas pour Quaid) !
En guise d’épilogue, et ce grâce au secret qui lui fut révélé, in extremis, par Kuato, Brubaker (qui décide de conserver Quaid pour patronyme… c’eût été trop facile, sinon) parvient à libérer les mineurs du joug de l’immonde Cohaagen. Tout est donc bien qui finit bien.
Sauf que la dernière réplique du film suggère qu’il n’est pas tout à fait impossible que toute cette histoire ne soit, finalement, elle aussi, que le produit d’un rêve ! Si l’on opte pour cette dernière hypothèse, il serait alors question d’un niveau de rêve n° 3, et d’une quatrième matriochka !