Il lui faut à présent renoncer à l’objet lui-même, car il ne lui appartient (déjà) plus ! Il appartient désormais à tous ceux qui le découvrent (et le reçoivent, chacun, à leur manière) et, d’une manière plus générale, au corpus culturel. Aujourd’hui, d’ailleurs, les artistes continuent à se heurter au même type de difficultés… une première fois lors de la finalisation de l’œuvre (aussitôt qu’elle est signée) et de son dévoilement consécutif (dès qu’elle est exposée), l’artiste renonçant ainsi à l’œuvre idéale, à l’œuvre du désir ; et une seconde fois lors du départ de l’œuvre (lorsqu’elle est cédée), l’artiste renonçant alors à l’œuvre réelle. Au moins, avec leurs roches et leurs parois, Néandertal et Cro-Magnon n’avaient-ils pas à se confronter à cette dernière épreuve !

Ainsi donc, une fois matérialisé, puis dévoilé, le rêve de l’artiste se transforme en objet culturel : il fait dorénavant tiers pour tous les membres du groupe. Partant, chacun aura loisir d’utiliser ces objets internes, secondairement externalisés — ces précipités de rêves —, afin de fabriquer — par « identification spéculaire » (identification au reflet) — ses propres objets internes. Des représentations mentales qui serviront, à leur tour, à combler les vides creusés dans l’espace psychique par les épreuves de la vie (à commencer par celles engendrant un vécu de perte). Des objets mentaux ayant pour office de rendre supportables les vécus de mal-être insupportables… tant au cours de l’éveil — sous forme de pensées, de souvenirs, d’images et de mots — qu’au cours du sommeil — sous forme de rêves, bien entendu.

Les songes des uns faisant ainsi naître, par ricochet, des rêves chez les autres.

Telle est la récursivité des processus de deuil amorcés par l’artiste-rêveur, dont les rêves sont en même temps le motif, le vecteur et la conséquence… non plus dans le seul chef de l’artiste, mais également dans celui de tous les membres de son groupe, actuels et avenirs.