Au commencement était le rêve… et la curiosité qu’il suscitait.
Le rêve intrigue l’homme depuis toujours. Tant les hommes de Néandertal¹ du paléolithique supérieur que les hommes de Cro-Magnon² s’intéressaient déjà à leurs rêves… et éprouvaient le besoin de les raconter aux autres.
Nous disposons d’éléments tangibles à l’appui de cette thèse. Une proportion non négligeable de peintures pariétales (réalisées sur les parois des grottes [« grottes ornées »]) ainsi que rupestres (réalisées sur les flancs des roches), parfois vieilles de plus de 30.000 ans, en attestent. En effet, selon nombre de paléontologues distingués, les œuvres en question seraient la projection picturale de scénarii de rêves. Et cela laisse pour le moins… rêveur, car on a trouvé, à ce jour, quelque 45 millions de peintures pariétales et rupestres à travers le monde, réparties sur 170.000 sites, dans plus 160 pays !
L’origine onirique des peintures préhistoriques se fait tout d’abord discrète, les compositions comportant des êtres humains (ou, du moins, des animaux anthropomorphes), ainsi qu’un aspect narratif, demeurant très rares dans les cavernes et sur les roches les plus anciennes. On en trouve déjà un beau spécimen, toutefois, dans la grotte Chauvet (découverte en 1994, en Ardèche, par Jean-Marie Chauvet), dont les peintures les plus anciennes datent de 37.000 ans. Dans la salle dite « des lions », la plus éloignée, une étonnante créature composite associant des éléments humains (bras et jambes) avec un bison, baptisée « le sorcier » (ou « la sorcière ») par les paléontologues, semble surgir tout droit d’un cauchemar… et fait immédiatement songer au Minotaure tel que Picasso s’est si souvent plu à le représenter (dans ses gravures, notamment). À sa gauche est ébauchée la partie inférieure d’une femme, figuration très semblable à celle de la Vénus de Willendorf, datant de la même époque. Dans son documentaire fort émouvant (La grotte des rêves perdus, 2010), le réalisateur Werner Herzog, se basant sur l’avis de spécialistes, affirme que « ces images sont la mémoire des rêves de nos ancêtres longtemps restés dans l’oubli ».
Par la suite, tout au long du paléolithique supérieur (c.-à-d. jusqu’il y a environ 12.000 ans), l’inspiration onirique des œuvres graphiques va aller croissant, dans des compositions alliant présence humaine et narration. En témoigne la grotte de Lascaux (vieille de 19.000 ans, découverte en 1940, en Dordogne, par Marcel Ravidat), où de nombreuses peintures évoquent d’épiques scènes de chasse (ne serait-ce que par les blessures exhibées par les animaux, ou les lances jonchant le sol, parfois encore munies de leurs propulseurs). Et cette tendance va se poursuivre tant au mésolithique qu’au néolithique.
¹Néandertal, cousin d’Homo sapiens (avec lequel il s’est parfois croisé, ce qui explique qu’au moins 2% du génome humain non africain [Néandertal n’ayant jamais vécu sur le continent africain] est composé de gènes néandertaliens), a vécu entre environ 450.000 ans et 30.000 ans avant le présent.
²Cro-Magnon, célèbre spécimen européen d’Homo sapiens au paléolithique supérieur, a vécu entre environ 45.000 ans et 12.000 ans avant le présent.