La poursuite de l’analyse des chiffres de Mary met en évidence une troublante similitude entre expérience onirique et pathologie neuro-psychiatrique.
Pourcentage de :
rêves visuels : 57 %,
rêves auditifs : 37 %,
rêves gustativo — olfactifs : 1 %.
Ces chiffres nous apprennent que les rêves visuels — lesquels reposent sur des « hallucinations » visuelles (du même type que celles qui se manifestent lors d’un delirium tremens [condition liée à un sevrage alcoolique non contrôlé] —, bien que majoritaires [un peu moins de deux tiers des rêves récoltés], ne détiennent pas, pour autant, le monopole des songes. Quant à l’ouïe, elle est, avec plus d’un tiers des rêves récoltés, la seconde modalité sensorielle à faire l’objet d’« hallucinations » [du même ordre que celles qui s’observent chez le schizophrène]. Enfin, avec 1 % des rêves récoltés, la modalité gustativo-olfactive ne donne qu’exceptionnellement lieu à des « hallucinations » [du même acabit que les mauvaises odeurs participant de l’« aura épileptique », une crise d’épilepsie partielle, le plus souvent annonciatrice d’une crise plus importante], car le chemin neurologique emprunté par le goût et les odeurs conduit directement au cortex cérébral, sans transiter par le thalamus [la principale station-relais du cerveau].
Ces références systématiques à la pathologie mettent en évidence un fait singulier : nos songes nous permettent de vivre des expériences similaires à celles qui sont vécues dans le cadre de conditions neurologiques et psychiatriques lourdes ! Et la liste ne s’arrête pas à l’alcoolisme, la schizophrénie ou l’épilepsie…
De nombreux rêveurs parviennent à identifier des personnages qu’ils ne connaissent pourtant pas [sentiment de familiarité pour des visages non reconnus] : exactement comme dans le syndrome de Frégoli [ou syndrome d’hyper-identification des visages], une psychose paranoïde, dans laquelle le sujet se croit persécuté par un agresseur dont l’apparence change en permanence [trouble lié à des lésions antérieures du cortex cérébral]. De même, les lieux oniriques sont fréquemment identifiés comme familiers, alors qu’ils ne partagent aucune similitude avec les lieux réels correspondants : tout comme dans le syndrome d’hyper-identification des lieux [trouble souvent associé à des lésions antérieures et latérales du cortex cérébral]. Ou encore, la palinopsie [répétition — dans le temps — d’un contenu visuel [images fantômes]] et la polyopsie [répétition — dans l’espace — d’un contenu visuel [vision double]] : des anomalies visuelles relativement fréquentes dans les rêves, et qui se produisent, également, à l’occasion de lésions du cortex visuel associatif [à l’arrière du cerveau]. Enfin, la micropsie [réduction apparente de la taille des objets] et la macropsie [augmentation apparente de la taille des objets] : des perturbations de la perception assez courantes dans les rêves [comme dans ceux d’Alice, par exemple], et qui se produisent, également, suite à des lésions situées à l’arrière-droit du cortex cérébral.
Toutes ces similitudes semblent indiquer que les distorsions de la perception et de la pensée qui caractérisent les rêves proviennent, en réalité, d’une hypo-activation [voire d’une désactivation] des aires cérébrales se trouvant lésées dans les syndromes neurologiques et psychiatriques correspondants ! En outre, une inhibition du corps calleux — la principale « commissure » reliant les deux hémisphères cérébraux [à la manière d’un large pont] — ajouterait encore au tableau : cette « commissurotomie fonctionnelle » [comme si le cerveau était coupé en deux] — cadeau du sommeil paradoxal — permettrait au cerveau droit [holistique et irrationnel] de s’affranchir du cerveau gauche [analytique et rationnel].
Suite et fin de l’interprétation des chiffres de Mary le mois prochain…