Chronique de novembre 2024 L’encéphalite léthargique (Premières explorations somnologiques, partie 1)

La recherche sur les rêves a partie liée avec celle sur le sommeil. Et cette dernière n’a réellement démarré qu’au tournant de la Première Guerre mondiale, au détour d’une épidémie qui ne tarda pas à se muer en une effroyable pandémie, la plus meurtrière de l’histoire.


Entre mars 1918 et la fin de l’année 1919, la grippe espagnole¹ déferla sur le monde, fauchant près de cent millions de vies (un malade sur dix, selon les estimations de 2020)². Une calamité dix fois plus meurtrière que la Grande Guerre elle-même  !

Parmi les survivants, certains développèrent une encéphalite virale (une inflammation de l’encéphale). Et un tiers d’entre eux durent faire face, dans les années qui suivirent, à une étonnante complication : l’encéphalite léthargique, surnommée « la maladie du sommeil européenne » (par opposition à l’africaine, plus connue, causée par un parasite — le trypanosome — transmis par la mouche tsé-tsé). Chez ces malades — dont le nombre atteignit tout de même le cap des cinq millions (parmi lesquels un million décédèrent) —, H1N1, le virus de la grippe A (à moins que ce ne soit un microbe opportuniste, voire une cause encore inconnue) s’attaqua aux centres de contrôle de l’éveil, situés dans l’encéphale.

Conséquence : telle la Belle au bois dormant, la malheureuse victime semblait plongée dans un sommeil sans fin ! Semblait, seulement, car, en réalité, il s’agissait d’une absence d’éveil plutôt que d’un sommeil véritable. Le mot « léthargie », d’ailleurs, désigne un état de ralentissement des fonctions vitales — à l’origine de l’hibernation, de l’estivation et de la torpeur —, et non un état de sommeil. Cette pathologie, on l’apprendra plus tard, était une forme particulière, dite « akinétique » (sans mouvements), de la maladie de Parkinson. Outre la léthargie, son symptôme cardinal était la catatonie, une raideur généralisée, entraînant une attitude figée. Cette catatonie pouvait parfois prendre la forme d’une catalepsie, ou « flexibilité cireuse ». Le malade, tel un pantin, conservait alors les postures, même inconfortables, imposées par autrui. Par exemple, si le médecin retirait l’oreiller de dessous la tête du patient, celle-ci restait plantée en l’air, tel un objet flottant en apesanteur !

Dans son ouvrage L’Éveil (Awakenings [Les Éveils]), paru en 1973, et magnifiquement adapté au cinéma en 1990 (avec Robin Williams et Robert De Niro), Oliver Sacks, éminent neuro(psycho)logue anglo-américain, débordant de créativité et d’humanité, a fortement contribué à populariser ce mal étrange. Dans les années 1960, l’encéphalite léthargique maintenait encore « endormis », parfois depuis plus d’un demi-siècle (!), une série de patients éparpillés dans des asiles de la région du grand New-York. Grâce à Sacks, ils parvinrent à se « réveiller ». Tous… même si le miracle ne fut que très temporaire ! En effet, la L-DOPA, le médicament antiparkinsonien alors récemment mis sur le marché auquel Sacks avait eu l’idée géniale de recourir, engendra, au fil des semaines, des effets secondaires de plus en plus intolérables. Finalement, le bon docteur fut contraint de renoncer à l’expérience. Et tous se « rendormirent ».

Plus proche de nous (culturellement parlant), Hergé avait déjà fait allusion à ce trouble en 1943, dans Les sept boules de cristal, le 13e album des Aventures de Tintin, lui prêtant toutefois une origine toxique (l’inhalation d’une décoction de feuille de coca) et non virale.


¹L’Espagne n’étant pas impliquée dans le conflit, elle n’avait pas à se soucier du moral des troupes : les journalistes pouvaient donc parler librement de l’épidémie de grippe qui frappait leur pays… contrairement aux journalistes des pays belligérants, contraints par la propagande d’étouffer l’affaire ! D’américaine, cette grippe est donc devenue ibérique par voie de presse.
² Les premiers cas furent recensés dès 1916, au Kansas. L’épidémie, cependant, ne prit vraiment son essor qu’en 1917, à la fois dans le Pas-de-Calais, au camp militaire britannique d’Étaples (où elle pris le nom de « pneumonie annamite » lorsqu’elle frappait les travailleurs indochinois [vietnamiens] au service des troupes britanniques) et à Bordeaux, suite au débarquement américain de juin 1917. Rapidement, elle se transforma en pandémie en raison des mouvements des troupes alliées. Le tout dernier cas fut signalé en 1921, en Nouvelle-Calédonie, au large de l’Australie.


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