Chronique de novembre 2023 Voir, tout simplement (Voir son rêve, partie 4)

Voilà pour l’anglophone (il A un rêve) et le francophone (il FAIT un rêve). Maintenant, demandons-nous quel mot était utilisé pour parler des rêves dans la Grèce antique, le berceau de notre civilisation.


Eh bien, un Grec vivant, disons, au VIIIe siècle av. J.-C. se contentait de voir son rêve, tout simplement ! Ou, pour être plus précis, il voyait une poignée d’Oneiroi — les mille fils d’Hypnos (le dieu du sommeil) et de Nyx (la déesse de la nuit, elle-même mère d’Hypnos), selon Ovide —, les dieux des rêves. Morphée, l’Oneiros en chef, venait visiter le dormeur afin de lui transmettre un oracle (lui permettant, de la sorte, de se préparer à affronter une épreuve existentielle prochaine). In fine, le rêveur hellénique voyait Morphée, principalement, remplir son office. C’est tout. Peut-on imaginer position plus passive et extérieure ?

Et l’office de Morphée, c’était pas du gâteau, croyez-moi ! Une fois un songe amorcé, le principal dieu des rêves se lançait dans un incroyable one-man-show de transformiste, prenant, tour à tour, l’apparence de chacun des acteurs à l’affiche. De tous les dieux du panthéon, Morphée était celui qui imitait le mieux les êtres humains¹ (d’où son nom, morpha : forme). Extrêmement talentueux, il parvenait à reproduire, à la perfection, leurs physionomies, leurs voix, leurs propos, leurs démarches, leurs silhouettes, etc. Et pour être assuré de faire un tabac, cet Arturo Brachetti² des temps antiques agitait, par surcroît, une fleur de pavot (propice tant au sommeil qu’aux hallucinations visuelles³) sous le nez du dormeur… triomphe garanti !

Et pendant que Morphée se taillait, ainsi, la part du lion — imiter les hommes —, deux de ses frères, au moins, se chargeaient des tâches subalternes. Alors qu’Icélos (appelé également Phobétor) prenait l’apparence des animaux, Phantasos prenait celle des objets inanimés. In fine, le rêveur avait donc vu, au moins, trois Oneiroi à l’œuvre.

À présent, posons-nous la question suivante : qui du francophone, de l’anglophone ou du grécophone antique utilise le vocable le plus adéquat, le mot permettant de penser le rêve de la manière la plus juste ?


¹Ovide le nommait « le grand artificier et simulateur de figures » (Métamorphoses).
²Célèbre transformiste italien contemporain : « le plus rapide au monde », selon le Livre des records.
³La fleur de pavot est, d’ailleurs, à la base de la fabrication de l’opium, de la morphine et de l’héroïne.


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