À partir de 1953, et ce grâce à la découverte du REM, les somnologues ont donc pu commencer à lever le voile sur la face cachée de notre existence : le sommeil.
Une face cachée couvrant en moyenne un petit tiers de notre existence. Soit environ vingt-sept années pour un Occidental vivant en ce premier quart de XXIe siècle.
Ce qui fait du sommeil — et, par transitivité, du rêve (transitivité dont la démonstration sera apportée dès le milieu des années 1990) — le comportement qui occupe le plus un être humain au cours de sa courte vie ! Par comparaison, le travail, qui revendique la deuxième place, n’occupe en moyenne que onze années. Et les loisirs, qui se classent troisièmes, huit années seulement. Voilà, d’ailleurs, qui tranche définitivement la question métaphysique de la téléologie. Si nous venons au monde, c’est, avant tout, pour dormir ! Et donc pour rêver !!
Pourtant, le sommeil est certainement le comportement ayant été le moins étudié au cours de l’histoire. Pendant des millénaires, la médecine est restée essentiellement une médecine de l’homme éveillé. Et pour cause : il est bien difficile de procéder à l’anamnèse, voire même à l’examen clinique, d’une personne endormie. Des générations de praticiens ont donc interrogé, examiné, traité et suivi des patients éveillés… ignorant, presque totalement, les 88 troubles (autant que le nombre de touches sur un clavier de piano, blanches et noires comprises) qui figurent, désormais, dans la Classification Internationale des Troubles du Sommeil.
En 2003, on célébrait, à Chicago comme partout dans le monde, le premier jubilé de la découverte du REM. Cinquante années de recherche sur le sommeil… dont quarante-six sur le rêve.
En 2009, six ans plus tard, rebelote ! Le petit monde de la somnologie fêtait, alors, en grande pompe, un autre jubilé : celui de la découverte, à Lyon, du sommeil paradoxal.
Et c’est ici que Michel Jouvet entre en scène. Ce géant de la neurobiologie, de la somnologie et de l’onirologie (initialement neurochirurgien, et médecin expérimentaliste) fit sa célèbre découverte, au cours des années 1958-1959, en étudiant des chats endormis qui « bénéficiaient » des mêmes préparations que celles réservées par Bremer à ses chers félidés. Mais plutôt que de regarder en amont de la coupe de la préparation « cerveau isolé » (dans le cerveau, donc), comme l’avait fait autrefois l’éminent chercheur belge, il eut la bonne idée de s’intéresser à ce qui se passait en aval (dans le tronc cérébral, donc)... obtenant, de la sorte, ce qu’il baptisa des « chats pontiques » (le pont étant, rappelons-le, la partie médiane du tronc cérébral). Et ce qu’il découvrit le surpris totalement : l’apparition, périodique, d’une forte activité enregistrée dans la portion pontique de la formation réticulée (marqueur électrophysiologique d’éveil), paradoxalement associée à une période d’atonie musculaire dans la nuque (marqueur comportemental de sommeil). Durant leur sommeil, ces chats traversaient donc des périodes itératives d’« éveil-sommeil » ! Le soleil et la lune enfin présents au rendez-vous fixé naguère par Charles Trenet... In fine, cette découverte allait conduire Jouvet à confirmer les conclusions auxquelles étaient arrivés ses prédécesseurs américains. À savoir : double correction du modèle neurobiologique du sommeil, et, dans un second temps, lien étroit avec les rêves.