Chronique d’avril 2021 Synésios de Cyrène (Antiques onirocrites, partie 2)

Synésios de Cyrène, pour sa part, néoplatonicien converti au christianisme (IVe siècle apr. J.-C.), écrit sa somme à lui, Traité sur les rêves, dans laquelle les songes sont pareillement conçus comme des prophéties d’inspiration divine.


Dans leur forme littérale, ils sont illisibles (« car les dieux ne dévoilent leur vie au regard des hommes que de façon dissimulée ») et nécessitent, par conséquent, un travail d’exégèse. De tous les moyens prodigués aux hommes pour prédire leur avenir (l’interprétation des étoiles [astrologie], des entrailles d’animaux [haruspicine], du cri ou du vol des oiseaux [ornithomancie], des lignes de la main [chiromancie], etc.), l’interprétation des rêves (oniromancie) est la plus élevée, car « l’âme [qui est reliée aux dieux] renferme en son sein les images de ce qui sera ». De plus, et contrairement aux autres moyens (qui supposent des cérémonies coûteuses en temps comme en argent), le rêve est donné « au plus pauvre comme au plus riche ».

Constructiviste avant l’heure, Synésios tient l’imagination en très haute estime. C’est en elle qu’il pense trouver le meilleur moyen de prédire l’avenir, car « l’imagination est le sens des sens, l’organe de sens le plus général. L’imagination se montre bien plus fiable que la perception corporelle. Car l’œil ne nous montre pas toute la vérité. Selon la distance, le même objet nous paraîtra plus ou moins grand, ou encore les objets nous paraîtront plus grands dans l’eau, et la barre du gouvernail fléchie ». Un cognitiviste-constructiviste de ce premier quart de XXIe siècle ne pourrait pas mieux dire. Pas plus qu’un psychothérapeute, du reste (le vénérable Émile Coué, fils spirituel d’Hippolyte Bernheim, le « père de la psychothérapie » — dont il a d’ailleurs inventé le nom —, n’affirmait-il pas, dès le début du XXe siècle, que « quand l’imagination et la volonté sont en lutte, c’est toujours l’imagination qui gagne, sans aucune exception » ? [La Maîtrise de Soi-Même par l’autosuggestion consciente, 1926]).

Et qui dit « imagination », dit, forcément, « individu ». Parvenue à ce niveau, l’interprétation des rêves ne peut plus faire l’impasse sur l’expérience personnelle. Se référer exclusivement à la culture ne suffit plus… ce qui marque, de toute évidence, une rupture avec Artémidore. La capacité imaginative étant, par nature, très différenciée, les dictionnaires de rêves (clefs des songes) deviennent caducs. Bien que seize siècles les séparent, Freud, déjà, n’est plus très loin !

Par ailleurs, témoignant, derechef, d’une belle modernité, Synésios recommande au rêveur de tenir un journal intime… de nuit, bien sûr — le fameux carnet de rêves —, mais aussi de jour. Et ce d’autant qu’il tient pour primordiale l’analyse du style du discours utilisé pour raconter les rêves — les mots et les tournures de phrases —, l’introduction du « domaine de l’imagination dans la sphère du langage ». Position on ne peut plus psychanalytique, et singulièrement lacanienne.


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