Au cours de la seconde moitié du XIXe siècle, le rêve va être de plus en plus souvent associé à la notion d’Inconscient (pour un peintre aussi visionnaire que Goya, auteur de l’extraordinaire gravure Le sommeil de la raison engendre des monstres, la chose était entendue dès la fin du XVIIIe siècle).
Dans Le sommeil et la mort, ainsi que les phénomènes liés à la vie mentale, ouvrage publié en 1866 (alors que Freud n’était encore qu’un garçonnet de dix ans), Franz Splittgerber, « penseur » autoproclamé, écrit ceci : « Dans le rêve, l’âme se voit libérée de la pensée ordonnée et descend dans les abysses, où elle peut commencer à avoir une activité propre, vivace et accrue ». Ainsi que le père de la psychanalyse allait y consacrer l’essentiel de son temps et de son énergie quelques décennies plus tard, Splittgerber entendait observer l’homme véritable à partir du moment où finit sa conscience. Selon lui, les rêves significatifs (tous ne l’étaient pas) cachaient « l’esprit éternellement éveillé qui est au fondement même de l’être ».
C’est avec la publication de L’interprétation des rêves (Die Traumdeutung, traduit aujourd’hui par L’interprétation du rêve), le 4 novembre 1899, après quatre longues années passées à batailler avec le texte, que Freud fonde véritablement la psychanalyse. Pour être plus précis, c’est dans la dernière partie du célébrissime septième — et ultime — chapitre qu’il évoque la clef de voute de tout l’édifice : l’Inconscient (Ics). Freud est à ce point convaincu de l’importance de sa contribution qu’il postdate son ouvrage d’un an, le faisant ainsi coïncider avec la naissance du XXe siècle¹ !
Sur le plan méthodologique, Freud emboîte le pas à Maury (l’auteur de la théorie hypnopompique du rêve [cf. chronique précédente]). Ce faisant, les croyances sur le rêve deviennent plus scientifiques : elles se basent désormais sur des données empiriques… expérimentales pour Maury, cliniques pour Freud.
Par clinique, il faut entendre que ce sont les propres patient(e)s de Freud — en ce compris lui-même (via son « auto-analyse ») — qui livrent, d’un bout à l’autre de la cure, l’essentiel du matériel nécessaire à ses formalisations théoriques.
Après celle de Maury, l’œuvre de Freud fait donc figure de charnière entre la longue période oniromythique, débutée il y a plus de 30.000 ans, et l’onirologie naissante.
¹Il enfoncera d’ailleurs le clou en 1901, en publiant Sur le rêve, version à la fois condensée et vulgarisée de son chef-d’œuvre initial (probablement trop complexe, touffu et même brouillon), lequel n’avait pas vraiment réussi à rencontrer son public. La touche finale sera apportée en 1915, lorsque, âgé de 60 ans, il écrit Complément métapsychologique à la théorie du rêve, texte dans lequel il approfondit et clarifie son modèle… article qui ne sera publié qu’après sa mort.