Chronique de mars 2021 Artémidore de Daldis (Antiques onirocrites, partie 1)

Au cours de l’Antiquité tardive, à partir du IIe siècle apr. J.-C., en Grèce, une poignée d’onirocrites (experts en interprétation des rêves) ont de si bonnes intuitions, que l’écho de celles-ci résonne encore distinctement aujourd’hui.
Artémidore de Daldis (ou d’Éphèse), onirocrite du IIe siècle apr. J.-C., le plus célèbre d’entre-eux, rédige son Oneirocriticum (ou Onirocriticon - L’interprétation du rêve, publié aujourd’hui sous le titre : La clef des songes), somme de cinq livres consacrés à l’art d’interpréter les rêves.


Sa méthode : le jeu des associations, toujours en vigueur actuellement, à ceci près qu’Artémidore dispensait le rêveur de se livrer, lui-même, à ce petit jeu, estimant que seul l’interprète était apte à le faire correctement.

Pour y parvenir, ce dernier se référait à la culture, associant autour des mythes (traitant des dieux, des héros, etc.), des œuvres littéraires, des locutions, de l’Histoire, etc. N’oublions pas que la psychologie n’existait pas en ces temps éloignés : la problématique individuelle restait extrêmement limitée, l’âme étant imprégnée de la volonté du « ciel supérieur », et, par là-même, reliée au « grand tout »¹ !

S’il ne se souciait guère des associations faites par le rêveur, Artémidore ne s’intéressait pas moins, pour autant, à la situation concrète de ce dernier, à sa position dans la vie, à ses idiosyncrasies… le même rêve pouvant ainsi revêtir des significations fort différentes selon les rêveurs. Ce qui était également d’une grande modernité.

Ci-après, un exemple de cet art consommé de l’interprétation semi-personnalisée : « Pour celui qui s’apprêtait à entreprendre un voyage en mer, rêver qu’il devait être crucifié constituait un présage favorable. La croix était en effet réputée pour conjurer le danger, car, comme le bateau, elle était faite de bois, et aussi, car les mâts des bateaux représentaient des croix. Pour les hommes qui ne devaient pas voyager en mer, la croix prenait, au contraire, une tout autre signification, particulièrement négative » ; ou encore : « Un rêve dans lequel l’homme se transformait en femme était généralement pris en très mauvaise part. Mais pour les esclaves et les courtisanes, il avait une signification inverse, celle d’une libération prochaine » (exemples cités par Edmond Le Blant dans son Artémidore, publié en 1899). Dernier exemple : « Avoir en rêve la barbe longue et épaisse, et rude, est bon à celui qui est curieux de bien parler, comme serait un ambassadeur, orateur, avocat, aussi un philosophe, et à celui qui veut entendre quelque affaire. Si la femme veuve songe avoir une barbe, elle recouvrira mari, ce qui lui sera doux et bien. Si elle est mariée, elle perdra son mari, ou sera séparée de lui, gouvernera sa maison seule, comme si elle était homme et femme tout ensemble […]. Au jeune enfant ce songe signifie mort, mais à celui qui est déjà en adolescence commençant à porter barbe, c’est signe qu’il parviendra de soi-même, et se mettra en avant » (Abrégé des trois premiers livres [d’Artémidore], traduction de Charles Fontaine, 1546).

Ces trois exemples mettent en exergue un aspect tout-à-fait typique de l’Antiquité : le message personnel du rêve est totalement ignoré, seule compte la prophétie. Les dieux sont les sujets oniriques, par excellence, et ils ne se manifestent que dans le but de délivrer des oracles. Pour Artémidore, onirocritie rime donc, toujours, avec oniromancie² (art divinatoire basé sur l’interprétation des rêves).


¹Cette conception aura la vie longue. Rêve de déluge, une aquarelle d’Albrecht Dürer datée de 1525 (Kunsthistorisches Museum de Vienne), est, selon les historiens de l’art, la toute première image de la période historique à représenter un rêve autobiographique ! Dürer écrit : « La nuit du mercredi au jeudi après la Pentecôte (7-8 juin 1525), je vis en rêve ce que représente ce croquis : une multitude de trombes d’eau tombant du ciel. Et elles tombaient de si haut qu’elles semblaient toutes descendre avec lenteur. Mais, quand la première trombe fut tout près de terre, sa chute devint si rapide et accompagnée d’un tel bruit et d’un tel ouragan que je m’éveillai, tremblant de tous mes membres, et mis très longtemps à me remettre. De sorte qu’une fois levé, j’ai peint ce qu’on voit ci-dessus". Cette peinture restera un cas relativement isolé tout au long de la Renaissance, la production relative au rêve — par ailleurs pléthorique — se concentrant essentiellement sur la religion, l’Histoire, les mythes, les Belles Lettres, etc.

²Comme dans le rêve ultra-classique de la perte des dents : étant donné que la bouche représente la maison, et les dents la famille (les grandes dents, les personnes âgées, les petites, les plus jeunes), « quelque dent que l’homme songera perdre, il perdra tel personnage [membre de sa famille] que la dent signifierait ».


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