Qu’en est-il, à présent, des paramètres neurophysiologiques ? Et comment mettre ces derniers à profit afin d’accroître la fréquence des rêves lucides ?
La polysomnographie a permis de montrer que le rêve lucide ne se produisait qu’en REM. Plus fréquemment dans le REM de fin de nuit. Et davantage dans le REM tonique (dans lequel les mouvements oculaires rapides sont peu nombreux, ce qui suppose une relative passivité de l’encéphale !)… lequel a pourtant la réputation de préférer les débuts de nuit ! En outre, le rêve lucide est principalement corrélé au rythme cérébral alpha (dont la fréquence est de 8 à 12 cycles par seconde), le rythme de base de l’éveil calme les yeux fermés ; celui du REM, plus lent, étant le thêta (entre 3 et 7 cycles par seconde) ! Par surcroît, cet alpha se présente sous une forme inhabituelle, particulièrement ample : il est, dit-on, hypervolté. En 2013, une étude de cas (Ursula Voss, Université Goethe, Frankfort) a permis d’identifier, également, la présence d’ondes gamma (plus de 40 cycles par seconde) : activité cérébrale typiquement associée à la prise de conscience de l’état mental en cours (tiens, tiens). En 2014, la même chercheuse est parvenue à générer des rêves lucides, en induisant, au cours du REM, dans le cortex préfrontal et dorsolatéral (à l’avant et sur la partie supérieure des flancs du cerveau), un courant électrique de même fréquence que les ondes gamma ! Ces deux études ont beau avoir fait l’objet de généreuses critiques de la part de la communauté scientifique, une chose est sûre : certaines zones du cerveau se réveillent (et pas qu’un peu : les ondes gamma sont là pour en témoigner) lorsqu’un rêve lucide est généré.
Pour faire bref, apparait, au cours d’un REM tonique de fin de nuit (ce qui est inhabituel), une forte proportion d’ondes caractéristiques de l’éveil (activité alpha), anormalement amples (c’est l’aspect hypervolté du signal EEG), partiellement doublées d’ondes spécifiques de la prise de conscience (activité gamma)… Jusque-là, tout « colle » avec l’éprouvé subjectif du rêveur lucide (si ce n’est l’aspect tonique du REM, bien sûr), puisque son encéphale semble fabriquer, dès lors, autant d’éveil que de sommeil !
Stephen LaBerge (professeur à l’université de Stanford, rêveur lucide, lui-même) a mis au point des techniques permettant d’augmenter la fréquence des rêves lucides (pour les 70 % à 80 % de la population qui n’en font pas de manière régulière). Comment devenir un onironaute chevronné, un navigateur du rêve maîtrisant à fond la barre de la lucidité ?
Outre l’auto-suggestion (« Cette nuit, je fais un rêve lucide » [au présent de l’indicatif]) — l’outil n° 1 —, tenir un carnet de rêves semble être le moyen le plus efficace… et le plus simple. Avant toute chose, il s’agit d’accorder de l’importance à ses songes : les noter, c’est leur porter de l’attention. Ensuite, lors de la relecture, il est préconisé d’identifier toutes les « bizarreries » qui trahissent la nature manifestement imaginaire du récit onirique (comme dans ce rêve où LaBerge parvient à vaincre le Mont Everest, en… bermuda !) Sur le plan neurophysiologique, il semble, par ailleurs, que plus l’encéphale passe rapidement de l’état de veille à celui de sommeil paradoxal, plus les rêves se font lucides (décidément, les narcoleptiques ont tous les atouts en main pour être les maîtres de la discipline). Voilà pourquoi, il est chaudement recommandé de se coucher aux petites heures… non seulement la pression homéostatique du sommeil paradoxal se voit, ainsi, considérablement augmentée (par le biais de la privation intra-nuit), mais c’est, de surcroît, entre 5 et 6 heures du matin (autour de l’« heure chronobiologique zéro ») que la « propension » du sommeil paradoxal (sa pression circadienne) est la plus forte. Grâce à l’action conjuguée de ces deux facteurs, le sommeil paradoxal se produit très rapidement après l’endormissement. Une méthode alternative, moins coûteuse (car ne jouant que sur la propension [et non sur la privation]), consiste à régler le réveil vers 5 heures du matin, à se lever promptement, à se rendre aux toilettes (sans allumer la lumière) et à se recoucher aussitôt. Enfin, certains médicaments sont réputés accroître le taux de rêves lucides. C’est le cas du Donépézil (un anticholinestérase utilisé dans le cadre de la maladie d’Alzheimer) et de la Varénicline (un agoniste de la nicotine utilisé dans le cadre du sevrage tabagique).