La primatologie est le terrain de prédilection pour l’étude du mensonge chez l’animal.

En 1850, déjà, le naturiste Thompson relatait les péripéties d’un singe en captivité comédien comme pas deux. Dans l’une d’elles, le quadrupède prenait plaisir à s’asseoir au sommet d’un mât… mais se faisait, de la sorte, systématiquement chiper son repas (déposé, entretemps, au pied du mât) par les corbeaux. Un jour, lui vint une idée lumineuse : faire semblant d’être malade, et se laisser ainsi choir lentement le long du mât… Comprenant son affaiblissement, les corbeaux, bernés, ne s’enfuirent pas. C’est alors que le singe s’empara de l’un d’eux, le pluma et le jeta en l’air. Plus aucun corbeau ne vint, désormais, voler sa pitance !

Jane Goodall, la célèbre primatologue, rapporte, pour sa part, une anecdote concernant un jeune chimpanzé (1960, Bombay). Voyant que Jane a apporté une banane, le singe s’approche, mais, constatant la venue inopinée d’un aîné, il prend, alors, un air détaché... et fait mine de s’en aller. L’aîné, n’ayant pas repéré la banane, s’en va à son tour. Le jeune en profite, alors, bien entendu, pour revenir s’emparer du fruit tant désiré. À cet instant précis, l’aîné bondit du buisson où il s’était caché, et se saisit de l’objet de convoitise ! « Ce n’est pas à un vieux singe qu’on apprend à faires des grimaces »…

La primatologie interrogeait, naguère, des chimpanzés « physiciens ». C’est-à-dire des animaux capables de se jouer des lois de la physique dès lors qu’il s’agit d’attraper une banane ! Depuis, elle interroge plutôt des chimpanzés « mentalistes » (comme elle le fait dans les deux exemples précédemment cités). Des animaux capables de se mettre dans la tête d’autrui, ce qui leur permet d’attribuer des intentions — différentes des leurs — à l’autre. Ce qui, soit dit en passant, est le fondement même de la morale !

Frans De Waal, l’incontournable primatologue néerlandais — prix nobel 2012 pour avoir montré que les chimpanzés sont capables d’identifier leurs congénères sur base de leur… postérieur —, a introduit, dans les années 1980, la notion d’intelligence « machiavélienne » ; l’intelligence sociale et morale… dont le mensonge est la condition !

Cette aptitude correspond, très exactement, au pouvoir de modifier les états mentaux de quelqu’un en lui faisant croire des choses fausses. Ainsi recadré, le mensonge se transforme en vertu… l’autre facette de la coopération sociale !

Après les singes, se sont également révélés « mentalistes » : les baleines, les dauphins, les cochons, les chiens… et jusqu’aux animaux démunis de néocortex ! Les corbeaux et les pies, par exemple, se mentent entre eux, et n’hésitent pas à mentir aux hommes.

La sociobiologie s’intéresse, pour sa part, à la résolution des conflits d’intérêt chez l’animal. Pour prendre un exemple cocasse, l’accenteur mouchet femelle — un oiseau parfaitement « féministe » — se débrouille pour s’accoupler avec deux mâles à la fois... L’un et l’autre se voient, dès lors, dans l’obligation de s’occuper de la nichée. Ils n’ont guère d’autres choix, en effet : toutes les femelles sont déjà prises, à ce moment-là !

Le phénomène évolutionniste d’escalade s’applique très bien, enfin, à la notion de mensonge. Je mens. L’autre met en place ce qu’il faut pour détecter mon mensonge. Je mets en place ce qu’il faut pour que l’autre ne détecte pas mon mensonge. Etc. La meilleure façon de mentir sans être détecté étant, sans discussion, de croire soi-même à ses propres mensonges ! La compétence à être son propre dupe s’étayant, du reste, sur cette « course à l’armement » entre menteurs et détecteurs de mensonges.

En guise de conclusion, les comportements animaux les plus critiquables se sont donc progressivement métamorphosés, depuis Darwin, en conduites vertueuses !

La jalousie ? Un stabilisateur de couple !

La hiérarchie rigide ? Un vecteur de maintien de l’ordre social !

Le mensonge ? Le témoignage de la plus haute considération pour autrui !