Chronique de septembre 2017 La transmutation du plomb en or Rêve lucide (partie 3)

C’est, le plus souvent, lorsqu’un contenu mental potentiellement terrifiant vient à surgir dans la trame onirique que le rêve se décide à devenir lucide.


Et ce presque toujours à la suite de la survenue d’un micro-éveil (éveil du cortex d’une durée n’excédant pas quelques secondes)… en total accord avec la théorie hypnopompique.

Puisqu’il est ici question de contenus oniriques dysphoriques, rappelons ce qui différencie, fondamentalement, un mauvais rêve d’un cauchemar (selon la grille de lecture psychodynamique du moins). Un rêve (qu’il soit bon ou mauvais) est une production mentale dont le rôle est de « garder » le sommeil : il permet au dormeur d’échapper à l’éveil qui n’aurait point manqué, sinon, de se produire. À l’inverse, un cauchemar est une production mentale qui échoue dans son rôle de gardien du sommeil : l’éveil s’avère être, finalement, la seule échappatoire possible vis-à-vis de l’effroi qui n’aurait point manqué, sinon, de s’emparer de l’esprit du dormeur (plongeant ce dernier dans un état de sidération, de stupeur totale). Le cauchemar est, par conséquent, l’équivalent d’un rêve raté… voire un non-rêve !

Fort de ces considérations, une conclusion s’impose : le rêve lucide semble offrir au dormeur rien moins que la quadrature du cercle. C’est comme s’il lui donnait l’opportunité d’échapper à la terreur par les seuls ressorts de la mentalisation (sans être obligé de recourir au réveil donc) ; le rôle de « gardien du sommeil » continuant à être assuré, et ce malgré le risque encouru de « petite mort mentale » pour cause d’effroi. Par la grâce d’une lucidité de premier niveau (la simple prise en considération de la nature onirique de la situation terrorisante permettant déjà d’échapper à son emprise) et, plus encore, de second niveau (par le truchement d’un rewriting du scénario), le cauchemar est, pour ainsi dire, métamorphosé en rêve !

Incidemment, les patients narcoleptiques sont les champions du rêve lucide : ils en font huit fois plus que dans la population générale… et ils font également huit fois plus de cauchemars : la transmutation du plomb en or ! Ci-après, une charmante vignette clinique rapportée par Isabelle Arnulf (neurologue et somnologue, responsable de l’unité de sommeil à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière, à Paris) au congrès Le Congrès du Sommeil — édition 2015 (Nantes). En plein cauchemar récurrent de tsunami, une patiente narcoleptique apostrophe le raz-de-marée en ces termes : « J’en ai marre de toi, vague de tsunami ! » À ces mots, la vague se transforme en un petit personnage très gêné, demandant humblement pardon à l’auteure de ses jours (on se croirait en plein dessin animé d’Hayao Miyazaki)… Un niveau 2 de lucidité donc (dans la typologie d’Arnulf), upgradé en niveau 4 par la logique interne du récit.


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