Chronique de septembre 2013 Oniriques oracles

Il y a quelques années, la sortie du film Inception (avec Leonardo diCaprio) - dont le scénariste semble avoir mis un point d’honneur à ne surtout pas s’entourer de conseillers scientifiques ! - a relancé, chez le grand public, un regain d’intérêt pour les rêves. Saisissons donc cette occasion pour examiner ces rêves mystérieux que l’on dit « prémonitoires ».


Tant dans les conceptions bibliques que dans celles des sociétés antiques (grecque, par exemple) et traditionnelles (tribus chamaniques de Sibérie et d’Océanie, par exemple), le monde invisible d’où proviennent les rêves est, d’une part, surnaturel et, d’autre part, extérieur au dormeur, leur fonction étant d’annoncer l’avenir : le rêve a valeur de prophétie. Ainsi donc, soit le dormeur reçoit une visite - celle d’un ange (pour les rédacteurs de la bible), celle d’Oneiros et de Morphée (pour les Grecs) -, soit il en rend une (aux ancêtres, aux morts, aux dieux, aux démons…). Ce dernier point est vrai dès l’apparition de l’Orphisme, au VIème siècle avant J.-C (un mouvement religieux, dérivé du mythe d’Orphée, ayant introduit le concept de séparabilité du corps et de l’esprit). Dans tous les cas, les rêves constituent la mémoire de ces visites morphéiques. Aujourd’hui encore, pour la personne superstitieuse férue de parapsychologie et d’occultisme (27% des Belges, selon un récent sondage !), le rêve « prémonitoire » est exactement cela.

Pour les Occidentaux qui partagent ces autres croyances qu’on appelle « théories scientifiques », c’est exactement l’inverse. Le monde invisible qui expédie les rêves est, tout au contraire, très naturel ; il est logé à l’intérieur de nous-mêmes (la psychanalyse l’appelle « l’Inconscient », la neurobiologie « le cerveau ») ; et si d’aventure le rêve renseigne sur quelque chose, c’est principalement sur le passé.

Pour la science, le rêve « prémonitoire » découle, en réalité, soit d’une concomitance, soit d’une corrélation.

Lorsque deux événements se produisent en même temps, ou successivement (ce qui est le cas pour le rêve « prémonitoire » et l’événement « prédit ») - alors qu’il n’existe aucun lien entre eux -, on parle de concomitance. En voici un exemple classique, observé en Alsace depuis plusieurs décennies : alors que la natalité chute, il y a de moins en moins de cigognes !

Le rêve « prémonitoire » peut donc être, pareillement, le fruit du hasard.

En revanche, on parle de corrélation lorsque deux événements qui se produisent en même temps, ou successivement, sont reliés entre eux (mais pas nécessairement par un lien de causalité, les deux événements pouvant avoir une cause commune). Par exemple, les gens qui font du ski vivent généralement dans des résidences principales dont le loyer est cher, mais il ne suffit pas d’augmenter le prix des loyers pour que davantage de gens puissent aller skier ! Les deux facteurs sont en réalité conditionnés par un troisième : le fait d’être relativement aisé.

De même, le rêve « prémonitoire » et l’événement « prédit » peuvent-ils être tous deux conditionnés par un troisième facteur : les petits signes avant-coureurs qui précèdent l’événement.

Le rêve en question peut donc simplement résulter de la remontée à la conscience - à la faveur du sommeil - de ces signes subtils, enregistrés par notre inconscient, gravés dans notre mémoire cryptique, à l’état vigile. Nous ne sommes, en effet, conscient que d’une infime partie de la somme d’informations que nous traitons en permanence.

Notre esprit est tout à fait capable de saisir - à notre insu - les prodromes de phénomènes qui ne se produiront qu’ultérieurement, puis, à la faveur d’une sorte d’hypermnésie tant morphéique qu’onirique, d’associer autour de ces signes avant-coureurs, créant ainsi le scénario prétendument « prémonitoire ».

Au sujet de cette notion d’hypermnésie onirique, Delboeuf, un savant liégeois du XIXe, rapporte, dans un ouvrage daté de 1885, un rêve personnel assez spectaculaire, dans lequel il voit une fougère du nom d’Asplenium ruta muralis grimper sur un mur. À l’état vigile, Delbœuf ne connaissait absolument pas ce nom. Après vérification, il constate qu’une fougère au nom similaire existe bel et bien : l’Asplenium ruta muraria ! D’où le rêve avait-il donc puisé cette connaissance ? Était-ce là un rêve prémonitoire ? Delbœuf ne le découvrira que seize ans plus tard ! En visite chez un ami, il aperçoit un herbier, l’ouvre et découvre, sur l’une des pages, le fameux l’Asplenium… avec sa propre écriture à côté ! Un souvenir lui revient alors : dix-huit ans plus tôt, deux ans avant le rêve, donc, la sœur de l’ami en question avait rendu visite à Delbœuf, munie d’un herbier destiné à son frère. Sous la dictée d’un botaniste, Delbœuf avait alors écrit les noms latins à côté de chaque plante, chose qu’il avait complètement oubliée par la suite. Le rêve avait donc disposé de souvenirs auxquels l’état de veille ne pouvait plus accéder. « Toute impression, même la plus insignifiante, laisse une trace inaltérable, indéfiniment susceptible de réapparaître au jour dans le rêve. » écrivit-il, ensuite, en guise de conclusion.


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