La dernière partie de l’analyse des chiffres de Mary permet d’interroger des notions aussi passionnantes que le constructivisme et la mentalisation.
Pourcentage de :
rêves en couleurs : 37 %,
rêves récurrents : 29 %,
rêves lucides : 26 %,
rêves reliés à la vie diurne : 88 % (fortement reliés : 47 %, vaguement reliés : 41 %).
Autre élément frappant, dans le comptage de Mary : la faible proportion de rêves en couleurs (un peu plus d’un tiers des rêves, seulement) ; ce qui implique — c’est une lapalissade — que presque deux tiers des rêves sont « tournés » en noir et blanc ! Plongeons-nous, un instant, dans le contexte historique, voulez-vous ? Au temps de Mary, la photographie (noir et blanc, cela va sans dire) venait de fêter son premier jubilé (elle avait été inventée en 1839, par Nicéphore Niepce et Louis Daguerre). En outre, divers procédés de films (noir et blanc, toujours) existaient déjà en 1893 (même si le cinématographe, en tant que tel, n’allait être inventé que quelques années plus tard [par Edison et les frères Lumière, comme chacun sait]). Sur base de cette chronologie, nous pouvons déduire que l’imagerie noir et blanc occupait une place grandissante, en cette fin de XIXe siècle. Elle faisait, inévitablement, partie de la réalité quotidienne des Occidentaux. Or, on ne rêve pas hors de sa réalité (ce que confirment, par ailleurs, les 88 % de rêves reliés à la vie diurne). Puisque les films étaient tournés en noir et blanc, les rêves — ces films mentaux — l’étaient donc tout autant !
Notons, encore, que de nombreux rêves sont qualifiés de récurrents (un peu moins d’un tiers des rêves). Pourquoi, diable, ce « hoquet mental » ? La psychologie dynamique propose une explication toute pragmatique : les rêves disent des vérités que le rêveur préfère, parfois, ne pas entendre. Par voie de conséquence, le message envoyé par l’Inconscient n’est pas capté par le Moi conscient… ce qui se traduit par un non-changement de comportement dans la vie vigile. Si l’Inconscient veut avoir une chance de se faire entendre, les rêves n’ont d’autre issue que de rabâcher. Ils enfoncent le clou, bégaient, inlassablement.
Enfin, vous aurez certainement remarqué que les rêves lucides sont étonnamment nombreux : plus d’un quart des rêves. Mary et Edmund partageaient, à l’évidence, tous deux, le don de lucidité !
Avant de clore le chapitre, étonnons-nous, tout de même, de l’absence totale de rêves somesthésiques (fondés sur la sensibilité générale du corps [le tact, la chaleur, la nociception...], sur la proprioception [la perception de la position des différentes parties du corps] et sur la kinesthésie [la perception des mouvements des différentes parties du corps]), comme les rêves de vol dans le ciel, par exemple ! Cette scotomisation du corps serait-elle le fait du puritanisme régnant, alors, sans partage, sur les WASP (White Anglo-Saxon Protestants) de Nouvelle-Angleterre ?
« On ne tombe pas hors du monde lorsque l’on rêve » (Sigmund Freud).