Chronique de juin 2024 Un mot-valise (En quête d’une définition, partie 1)

Certains mots peuvent prétendre au qualificatif de valise.


Traduction de portmanteau word (le portemanteau étant autrefois une grande valise à deux compartiments), le « mot-valise », néologisme créé par Lewis Carroll, caractérise un vocable dans lequel sont empaquetées plusieurs significations distinctes. Derrière une apparente unicité de sens, se cachent, en réalité, une collection de caleçons, chaussettes, chemises, pantalons, etc.

Le mot « rêve » fait indubitablement partie du lot. Il s’agit même d’un très grand portemanteau… une véritable malle ! Quelle polysémie revêt donc ce vocable si banal, si souvent usité, et ce dès le plus jeune âge ?

Petit voyage, délectable, à travers les dictionnaires.

À tout seigneur tout honneur, laissons le Petit Robert ouvrir le bal. Le dictionnaire étalon de la langue française propose : « Suite de phénomènes psychiques se produisant pendant le sommeil » (notons que Wikipédia reprend exactement la même définition, au mot près). D’emblée, l’accent est donc mis sur le pluriel. Un songe ne se présente pas comme un phénomène psychique singulier, telle une photo (ce qui, nous le verrons plus loin, est l’apanage de l’hallucination hypnagogique et de la terreur nocturne), mais bien comme un enchaînement de phénomènes psychiques, à l’instar d’un film. Ensuite, c’est l’état de vigilance nécessaire à l’émergence desdits phénomènes qui est mis en exergue : le sommeil. Les rêves (ou les songes) sont donc explicitement différenciés des désirs, fantasmes et autres rêves éveillés (comme celui évoqué dans La Quête, la célèbre chanson adaptée et chantée par Jacques Brel : « Rêver un impossible rêve »). Enfin, deux partis-pris théoriques sous-jacents apparaissent en filigrane. Le premier sous-tend l’évocation de phénomènes d’ordre psychique (autrement dit, le vécu brut de l’expérience), plutôt que de productions d’ordre mental (le produit du traitement de ce vécu par l’appareil psychique¹) : le rêve est donc implicitement présenté comme un objet non élaboré, et, a fortiori, non intentionnel. Le second se marque par l’absence totale de référence à la neurobiologie (si ce n’est, mais alors de manière très indirecte, à travers l’évocation de la notion de sommeil) : dans cette définition, l’objet psychophysiologique n’a donc aucun droit de cité !

Pour le Petit Larousse illustré, le rêve est une « Production psychique survenant pendant le sommeil et pouvant être partiellement mémorisée ». Le plus encyclopédique, et convivial, des dictionnaires français ajoute donc l’idée, fondamentale, que nous ne connaissons nos rêves qu’au travers du prisme de notre mémoire (la notion de prisme est suggérée par l’usage du mot « partiellement »). « Cette nuit, j’ai rêvé de… » signifie donc, toujours : « Cette nuit, je me souviens avoir rêvé de… » ; « Je n’ai pas rêvé cette nuit » signifie donc, toujours (aux exceptions lésionnelles près) : « Je ne me rappelle pas avoir rêvé cette nuit ». « Le rêve est une hypothèse, puisque nous ne le connaissons jamais que par le souvenir », disait, joliment, Paul Valéry. Notons, encore, que les « phénomènes psychiques » du Petit Robert se sont mués, ici, en « production psychique »… substantif qui, bien qu’encore qualifié de « psychique », n’implique pas moins, pour autant, une indéniable élaboration.


¹« Appareil mental » eût été plus cohérant, bien évidemment, mais le voies de Freud sont parfois impénétrables. À des fins de clarté, et au risque de me montrer irrévérencieux, je parlerai dorénavant, dans cette chronique, d’appareil mental.


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